épisode 1 : exorde


Sous le titre
IL M'A ETE DONNE D'ALLER A CORINTHE, j'ai rédigé la saga contemporaine de ma famille. Le présent cahier complète l'ouvrage en apportant des précisions sur certains personnages, sur les événements historiques qu'ils ont vécus, les lieux où ils se sont trouvés et les circonstances qui les y ont menés. 
Les photos et documents d'époque qui sont insérés dans ce mémorandum constituent des témoignages précieux sur les conditions de vie, l'environnement géographique, les traditions et coutumes des peuples côtoyés, l'esprit d'aventure et les défis quotidiens. L’œuvre entier comporte huit temps forts qui mêlent les actes singuliers et les événements historiques qui m'ont marqué et influencé.


Je ne revendique ni le statut d'historien, ni la qualité d'observa-teur. Mon ambition est de faire découvrir que même une personne banale peut construire une existence riche et témoigner de la survenance et de l'enchaînement des bouleversements humains, techniques et sociaux.

Les souvenirs sont la pertinence de la mémoire et les clés du mystère de chaque existence

A l'entrée dans le XXIe siècle, j'ai approché mon père pour qu'il décrive ces fabuleuses années qui font partie de l'histoire contemporaine. Mais les souvenirs lui suffisaient.
En l'amenant à parler lors des moments de promenade que je partageais avec lui, après le décès de ma mère, j'exerçais sa réactivité et le fonds de ses annales en partant des souvenirs que j'avais conservés : lieux, personnes, anecdotes. Grâce à cela, il arrivait à raconter les faits et à compléter les trous que j'avais dans leur chronologie et leur survenance.
Je ne pouvais pas enregistrer ouvertement nos conversations qui auraient perdu la spontanéité et la complicité qui m'unissaient à mon père, d'autant qu'une partie des discussions se déroulait alors que je conduisais ou que nous nous promenions le long du littoral basque, et que le panorama sollicitait pêle-mêle la nostalgie du désert et l'infini atlantique, le nomadisme saharien et l'ancrage bayonnais, les actions civilisatrices et les impératifs quotidiens.


La promenade littorale s'étend le long des plages d'Anglet sur plus de quatre kilomètres. Je gare la voiture à la patinoire située à La Barre, embouchure du port de Bayonne, et nous marchons paisiblement avec des haltes respiratoires. Alors mon père raconte, me prend à témoin, faisant le grand écart temporel avec le Sahara. Et l'étendue océane revigore l'espace désertique, mêlant le chuintement des vagues au sifflement concerté du vent sur les dunes

Pendant les trois heures de promenade régulière, j'ai sollicité ma mémoire et suspendu dans mon esprit quelques repères pour que, dès mon retour, je puisse écrire le plus fidèlement possible tout ce que mon père m'avait raconté. La difficulté ne résidait pas dans le fait de transcrire ultérieurement ses propos, ni dans une chronologie sacrifiée au profit d'enchaînements aléatoires autant dus à ses sujets préférés qu'à une défaillance momentanée de sa remémoration - points de suspension que j'arrivais à combler à l'aide d'une question opportune ou de faits soudain resurgis. La difficulté relevait plutôt du manque à combler, dont j'avais conscience, et du non-révélé que je ne pouvais estimer et pour lequel je ne voulais pas être intrusif.

Mon père avait néanmoins constitué des dossiers personnels et familiaux qui regroupaient des docu-ments originaux relatifs à sa carrière militaire, des photos de ses lieux de vie avec ma mère, avec moi.
Il m'a commenté les clichés pris avant ma naissance, situé les grands-parents, confié des anecdotes jamais entendues, légué le journal de campagne de son père, le sous-lieutenant Pierre Saubadine, mon grand-père paternel que je n'ai jamais connu car décédé la veille du débarquement en Normandie.


Sous-lieutenant Pierre Saubadine, 18e régiment d'infanterie, 1re Compagnie de Chasseurs libanais - Carnet de route 1924-1925

Seul de la famille à me préoccuper de nos racines, j'en avais instruit mes parents et cette curiosité a certainement contribué à la nécessité d'écrire parce que je me rendais compte que, une fois tous les témoins disparus, les petits-enfants et les générations suivantes ignoreraient complètement la destinée qui fut celle de leurs anciens.

M'étant proclamé le fil conducteur de la narration, j'ai continué la progression des cycles et étalé tous les événements que j'ai vécus par la suite, bâtissant mon propre musée ethnographique, historique et artistique. Une fois affranchi des trébuchements hagiographiques, du piège de l'insuffisance et du danger de l'insignifiance, j'ai entrepris ce récit qui est devenu autobiographique car je me suis senti redevable : redevable de ce que j'ai appris et de ce que j'ai reçu qui ont fait ce que je suis devenu.

Où le mariage de Jean-Marc Saubadine avec Jeanne-Thérèse Duclau marque le début d'une destinée

Mes futurs parents, ainsi que Peio, le frère aîné de ma mère, et Paulette sa fiancée avaient convenu de se marier le même jour, permettant ainsi d'organiser une seule noce mais aussi aux copains et copines des deux couples de partager une grande fête au lieu de participer séparément à deux mariages.
Mais les opérations militaires retenaient mon père dans le territoire du Fezzan en Libye. Ma mère attendait toujours le fameux télégramme lui annonçant la permission exceptionnelle de son fiancé de militaire pour venir se marier : quatre jours, dont deux de voyage, et pas un de plus.
Les familles et les invités étaient sur le qui-vive. André Duclau, papa de Peio et de Ninou, s'impatientait devant ce qui lui paraissait aberrant dans une unité militaire :
que la présence de son futur gendre soit indispensable à l'action de l'armée française au Sahara. "Jeannot n'est quand même pas le commandant en chef de la Compagnie saharienne des Oasis !"

Insigne de la Compagnie saharienne du Hogar

Insigne de la Compagnie saharienne
portée des Oasis - CSPO


                      
  
















Le télégramme arrive enfin et le mariage de Jean-Marc dit "No" avec Jeanne-Thérèse dite "Ninou" est célébré le 7 octobre 1950 à Bayonne, en la Collégiale Saint-Esprit. Bis repetita placent, tonton Peio et tatie Paulette sont conviés en tant que désormais tout nouveaux époux avec une bonne partie des invités présents à leur propre noce.
 

Sur le parvis de l'église St Esprit

Peio et Paulette au mariage de mes parents

L'aubaine de deux mariages successifs est considérée avec enthousiasme en cette période d'après-guerre, surtout par les jeunes qui ont envie de s'amuser, de s'enivrer de fêtes, de venger leur jeunesse sacrifiée. Et la compensation a pour exutoire les sorties en bande dans les boîtes à jazz et les après-midis à la piscine de la Chambre d'Amour.

Le rendez-vous de la gentry avant la Seconde guerre mondiale s'élargit après-guerre à la classe populaire. Le site sera partiellement détruit par la tempête de 1970

En dépit de la digue nord du Boucau, les courants contraires et successifs ont entraîné une érosion pérenne dont les effets ont conduit, d'une part à l'aggravation de l'ensablement de l'entrée du port de Bayonne, d'autre part à l'effondrement de l'hôtel Marinella, fierté du littoral et de la plage du même nom.
Il est suivi dans sa détresse par la piscine des établissements de bains et des cabines adjacentes. Le coup est rude pour la gentry et les snobs pour lesquels ce lieu, qui jouxtait les ébats des masses populaires, affirmait à la fois leur différence et leur encanaillement.

C'est grâce à la photo de famille que je découvrirai le visage de Fernande Chaix (épouse du sous-lieutenant Pierre Saubadine), côté branche grand-paternelle, et de Marie Duclau, née Lucassou, ma grand-mère maternelle, toutes deux décédées très vite après ma naissance, m'empêchant de grandir à l'ombre de leur affection. Mon grand-père Pierre, quant à lui, avait disparu sept ans auparavant. Pour l'éducation de base, je peux compter sur ma marraine Berthe Laudebat, sœur d'André Duclau qui est une ancienne institutrice, tandis que mon parrain, que tout le monde appelle affectueusement tonton Chaix - car il est l'oncle de mon père -, affermira mon goût pour les livres.


Le cliché ci-dessous a été pris avant juste avant les fiançailles de mes parents dans la cour de Marylaur, la maison familiale.


Debout de g. à d. : André Duclau (grand-père maternel), Mme Laborde (mère de ma tante par alliance Paulette), Jean-Marc "No" Saubadine (mon père), mémé Chaix (mère de ma grand-mère Fernande Saubadine), Jeanne-Thérèse "Ninou" Duclau (ma mère), Berthe Lucassou épouse Laudebat (belle-sœur d'André Duclau et ma marraine) et son mari Pierre. Assises : Fernande Chaix (sœur du colonel Chaix et grand-mère paternelle, épouse de Pierre Saubadine), Marie Lucassou (grand-mère maternelle, épouse d'André Duclau). Devant : Paulette Laborde (épouse de mon oncle Pierre "Peio" Duclau, qui prend la photo)

Très souvent le dimanche, nous allons rendre visite à l'oncle et à la tante de papa qui habitent à Saint-Martin-de-Seignanx dans les Landes, à une douzaine de kilomètres de Bayonne.
Tonton Chaix nous accueille, toujours en costume et cravate ou bien en gilet selon la saison, la tête couverte d'une feutre à passement noir. Il porte à la boutonnière la rosette de Commandeur de la Légion d'honneur. Je sais que son grade est colonel, qu'il s'est échappé d'un camp de prisonniers japonais pendant la Seconde guerre mondiale alors qu'il était en Indochine.


Mon parrain, le colonel Chaix, reçoit le cordon de Commandeur de la Légion d'Honneur des mains du colonel Fourcade, commandant la citadelle de Bayonne

Pour cette visite hebdomadaire, maman apporte beaucoup de soin à mon habille-ment. Je porte alors des pantalons gris, une chemise unie, une veste bleu-marine
avec pochette et boutons dorés à ancre, des chaussures vernies noires. La tenue
du dimanche.

Mon coin de prédilection est le fauteuil placé à côté du guéridon sur lequel je peux poser mon verre et la petite assiette contenant deux biscuits. Pour l'apéritif, j'ai droit à un verre de Moscatel ou de Porto dans lequel je trempe un petit-beurre Saint-Michel. C'est mon régal et je savoure. Tonton Chaix est un homme lettré et, dès que je suis entré au lycée - il est très fier que j'aie été admis en classe classique "antichambre des jeunes qui ont la tête bien faite" -, il m'a offert à chaque étrenne un ou deux prix littéraires. 




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