épisode 4 : les campagnes sahariennes de mon père, de la frontière libyenne à l'extrême sud algérien

La compagnie saharienne de Ouargla a été créée le 5 septembre 1914. Un régiment de dromadaires avait déjà été constitué par Napoléon Bonaparte lors de la campagne d'Egypte. C'est en 1901 que les unités méharistes furent organisées sous l'égide du commandant Laperrine. 

En 1947, ces compagnies furent remaniées pour s'adapter aux zones et aux populations à contrôler. C'est ainsi qu'il fut décidé de doter la compagnie saharienne de Ouargla de véhicules militaires tout terrain, la transformant en Compagnie saharienne portée des Oasis. Son rayon d'action couvrait le grand Erg oriental - plateau du Tinrhert (In Amenas), région du Tidikelt (In Salah) -, l'Immidir (Arak), le Hoggar (Tamanrasset) et le Tassili des Ajjers (Djanet). Avec une distance est-ouest de 600 km et une distance nord-sud de 200 km, la superficie atteignait 120 000 km2.



De 1946 à 1959, l'adjudant Saubadine et
son peloton mènent de longues traversées uniquement à dos de méhari. Les missions peuvent durer de trois à six mois, six pour les zones les plus éloignées ou difficiles d'accès. Il s'agit d'opérations de surveillance et de protection, de repérage, de poursuite et de démantèlement de partis rezzous, ainsi que de relevés topo-graphiques et de migration de populations. Nous ne savons jamais où mon père se trouve, les facteurs surprise et désinformation étant primordiaux dans ce type de mission.


La reconnaissance se fait à un rythme aléatoire de kilomètres parcourus. Il faut tenir compte des tempêtes de sable dont la durée semble respecter la théorie du 3-6-9 : elle s'arrête au bout de trois jours, sinon de six, enfin de neuf ; des points d'eau et de la potabilité à moins que le puits n'ait été volontairement empoisonné ; des renseignements fournis par les caravaniers.




Ces actions dérangent fortement les bandes armées dont la principale activité consiste à piller les fermes isolées, les campements nomades et les caravanes, prolongeant en cela les ancestrales razzias arabo-musulmanes envers les populations noires destinées à être soumises à l'esclavage. D'où une hostilité contre les français sciemment entretenue par la rébellion.
Un peloton de méharistes est composé de soixante-dix indigènes commandés par un officier ou un sous-officier français. Lors des bivouacs, mon père s'en remet à son ordonnance Kâadadah.



Kâadadah en "tenue de sortie" devant
le tapis qui recouvrait tout un mur du salon
C'est un Châamba qui inspire crainte et respect dans sa gandoura, le visage couvert jusqu'aux yeux lorsqu'il est en service, et la tête enturbannée dans un chèche noir.



Lorsque mon père est à la maison, il dort sur la terrasse, enveloppé dans sa couverture berbère.




Au début de la colonisation de l'Algérie, les Châamba représentaient la tribu la plus importante du Sahara répartie sur les territoires de Ghardaïa, El Goléa, Ouargla.
Ils luttèrent farouchement contre l'armée de Bugeaud, à la fois par réflexe guerrier et parce que l'ingérence des Français menaçait leur prolifique commerce d'esclaves.
C'est Laperrine qui parviendra à les intégrer dans les unités sahariennes. L'apport de leur connaissance parfaite du désert
et de l'art du déplacement, ainsi que leur haine des Touareg,
en feront des combattants de premier ordre. Il faudra néanmoins plusieurs années pour qu'ils se plient à la discipline et cessent de rentrer dans leur tribu chaque fois qu'ils estimaient avoir gagné suffisamment de solde.







Goumier Châamba


                            
                                      Goumier Touareg        







Ces unités enrôlaient des tirailleurs, qui constituaient les troupes régulières et, à ce titre, étaient employés sur tous les terrains d'opérations y compris à l'étranger, et des goumiers qui étaient appointés uniquement sur le territoire saharien en tant que supplétifs.

Le Fezzan

Cette région, qui compose avec la Cyrénaïque et la Tripolitaine le territoire libyen, a été soustraite à l'empire italien par les Français en 1942. Depuis Brazzaville, De Gaulle avait enjoint Leclerc, alors commandant les troupes de l'Afrique française libre, de faire la jonction avec la 8e armée britannique
qui avançait en Cyrénaïque pour contrer l'offensive de Rommel contre le canal de Suez.
Mais, toujours méfiant envers nos alliés, De Gaulle lui avait intimé l'ordre de les écarter de toute velléité d'appropriation du Fezzan : "Le Fezzan doit être la part de la France dans la bataille d'Afrique. C'est le
lien géographique entre le sud-tunisien et le Tchad."
La colonne Leclerc enleva Sebha, la capitale régionale, puis Mourzouk. L'accord signé au mois de janvier 1942 attribua l'administration du Fezzan à la France tandis que l'administration anglaise était établie sur la Tripolitaine et la Cyrénaïque.



La carte ci-contre, annotée par mon père, mentionne les zones et villes du Fezzan où il a conduit et commandé son peloton méhariste de novembre 1949 à octobre 1950 (C'est la durée de ce séjour qui a retardé le mariage de mes parents, alors program-mé en même temps que celui du frère de ma mère). 



Entré par Ghat, le détachement de la CSPO s'installera succes-sivement à Edri, Sebha et Brak.


Le Tassili n'Ajjer

Pour atteindre ce massif montagneux du sud-est de l'Algérie, deux pistes sont possibles : celle qui mène à Illizi et celle qui passe par Amguid, qui se séparent après Bordj Omar Idriss (anciennement Fort Flatters).


Il s'agit de rallier Djanet, emplacement stratégique proche de l'oasis libyenne de Ghat, et de patrouiller le long de la frontière dont la porosité favorise les replis des combattants de l'ALN (armée de libération nationale) sur cette base arrière.

Bordj de Djanet, anciennement Fort Charlet





Mon père a pris ce cliché du village d'El Mihan, à un kilomètre au nord de Djanet.




Du temps de leur mainmise sur le Fezzan au tout début du XXe siècle, les Ottomans lançaient des raids depuis Ghat contre les méharistes français basés à Djanet et plusieurs batailles mirent aux prises les supplétifs Chaamba et des harka de Touareg Ajjer.
C'est la mission Lhote en 1957 qui mettra au jour les peintures rupestres du Tassili, révélant la richesse de ses figurations néolithiques et des arts, à l'égal des arts crétois et franco-cantabriques.
 

Région de Tidikelt

Au cœur du Sahara, c'est la région la plus chaude du pays. Elle est dominée par le haut plateau du Tademaït où les nombreux oueds s'étendent à ses pieds, alimentés par une providentielle nappe phréatique.

 


Le fort Miribel a été construit en plein centre du Tademaït.
La colonne en avant-plan commémore la mort du lieutenant Collot alors qu'il était en mission topographique avec quatre spahis (31 octobre 1896).



A In-Salah, on entre dans la wilaya de Tamanrasset. La température y est caniculaire pendant pratiquement dix mois de l'année, les deux mois d'hiver pouvant passer sans aucune pluie.
Et la distance parcourue à dos de dromadaire depuis Ouargla est d'environ mille quatre cents kilomètres.



Cette photo représente l'adjudant Saubadine devant une des redoutes du borjd Delion à Hassi-Inifel.

 
La colonne méhariste rejoint la route impériale numéro 3 et franchit les gorges d'Arak pour se diriger vers In Amguel. Cette piste relie Alger au pays touareg par In-Salah et Tamanrasset. Puis c'est la traversée du Hoggar en contournant le massif du Tahat pour fondre sur l'oasis d'Abalessa.




Fondre n'est pas le mot exact sachant qu'un méhari peut parcourir 40 km par jour en allure modérée et 60 en allure forcée. Les 80 km sont tranquillement couverts en deux journées avec un bivouac intermédiaire.






                                    Fort d'Abalessa






Sur la période déjà citée - 1946 à 1959 - les expéditions ne sont pas linéaires et les allées-venues depuis Ouargla empruntent des pistes variées en fonction des missions et des engagements ou poursuites sur le terrain.



Tamanrasset

Lieu chargé d'histoire, Tamanrasset a été la demeure religieuse et méditative du Père de Foucauld. Sa rencontre en Algérie (il servait dans le 4e Chasseur d'Afrique) avec Laperrine a profondément modifié sa
façon de se comporter et a constitué le prologue à son engagement spirituel. Il sera reconnu comme le grand spécialiste de la culture et de la langue touarègues.


Il vit sur le territoire de ce peuple, lui l'ascète qui est proche de la notion de pénitence - tetubt - que lui reconnaissent les touareg. En 1905, le père de Foucauld construit sur le plateau de l'Assekrem la "Frégate", bâtiment en pierre qui abrite la sacristie et l'église à surfaces égales.

Quelque onze ans plus tard, il sent que l'environne-ment peut basculer dans l'hostilité, notamment à cause de raids senoussistes contre les non musulmans. Il fait bâtir son bordj civil et s'y installe en juin 1916. Il y sera assassiné six mois plus tard alors qu'il avait été fait prisonnier par ces bandes fanatiques qu'il redoutait.



Le bordj Foucauld situé au sud du fort Laperrine est aujourd'hui absorbé par l'extension de Tamanrasset



Tôt le matin, au lever du soleil, la patrouille qui assure la vigilance des pistes est prête pour l'inspection.


Le peloton descendra ensuite sur In Guezzam, un fortin situé à la frontière avec le Niger.

Les Territoires du Sud étant soumis à l'administration militaire, il est d'usage de faire le point de la situation avec le caïd local. C'est un fonctionnaire placé à la tête d'une commune (douar).
                                                                   


Avant de quitter Tam, mon père pose au pied du monument dédié au général Laperrine et au père de Foucauld.







Cependant, la Compagnie saharienne portée des Oasis intervient également dans la région de Biskra, au pied des Aurès, où sévissent les sections armées de l'ALN. Avec sa troupe, mon père débusque l'ennemi à Zeribet Ahmed, Darmoune et Zerinet El Oued, et met la main sur des caches d'armes. Cela lui vaut une citation à l'ordre de la division.





Juillet 1956 : remise de la croix de la valeur militaire avec étoiles d'argent.



distances depuis Tamanrasset par les pistes

Mission à Soukiès 

Les combattants de l'Armée de Libération nationale (ALN) avaient établi des bases arrière en Tunisie d'où ils menaient des actions agressives de plus en plus fréquentes. Nos soldats ne pouvaient pas les poursuivre au-delà de la frontière car, même s'il existait des accords de coopération militaire entre la France et la Tunisie, cette dernière exerçait une solidarité maghrébine que son indépendance nouvelle-ment acquise ne pouvait refuser aux frères algériens.

A l'instar de la ligne Pédron côté marocain, André Morice, alors ministre de la défense du gouvernement Bourgès-Maunoury, décida de construire un barrage électrifié afin de protéger les voies de circulation (route et voie ferrée) de Bône à Souk-Ahras, barrage qui sera dénommé ligne Morice.


Ligne Morice - double barrage électrifié
Printemps 1958, le peloton Royer prit ses quartiers à Négrine, le peloton Rozot à Ferkane et le peloton Saubadine à Soukiès. Soukiès était aux avant-postes et les fellegahs multipliaient les infiltrations et les mouvements de fournitures d'armes. Les affron-tements furent rudes et sanglants. La bataille des frontières a été la plus grande qui ait mis aux prises l'armée française et l'ALN.
In fine, l'efficacité de la ligne fut maximum et l'ALN subit de lourdes pertes en vies humaines, en prisonniers et en armement.



La carte d'été-major ci-dessous positionne les trois pelotons : à gauche Ferkane ; en bas Négrine ; à droite Soukiès.










Troisième décoration française après l'ordre de la Légion d'Honneur et l'ordre de la Libération, la médaille militaire est attribuée à l'adjudant-chef J.M. Saubadine.

















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