épisode 28 : Gabon - la tournée du chœur Oldarra et autres événements


Quand j'ai pris en main pour deux ans la destinée de l'Assceg, j'ai trouvé en la personne du directeur du Centre culturel fran-çais Saint-Exupéry de Libreville un interlocuteur intéressé par l'opportunité de faire se produire un chœur basque au Gabon.
Le mûrissement du projet à pris sept mois entre le premier contact, pendant nos vacances au Pays basque, avec le chœur en son batzoki de Biarritz, l'organisation du déplacement de 30 choristes à Libreville et à Port-Gentil pendant quatre jours (logistique, hébergement, salles de spectacle), l'opération de relations publiques voulue par le directeur général auprès de la Présidence, des corps constitué de l'Etat, des diplomates, de la gentry locale et des partenaires industriels, la recherche du financement complémentaire pour assumer l'ensemble des dépenses. Plus les réservations sur les vols commerciaux Biarritz - Paris, Paris - Libreville, Libreville - Port-Gentil, les formalités administratives afférentes à ce genre de déplacement en groupe et quelques aléas.

A Libreville

Mercredi 20 février 2002, 20 h 52, je reçois un courriel de Biarritz : "Le départ des gars ne s'est pas passé dans les meilleures conditions : l'avion est tombé en panne après avoir effectué... deux mètres sur la piste. Réparation rapide impossible, transfert par bus sur l'aéroport de Bordeaux-Mérignac pour essayer d'attraper le vol prévu. Accident sur l'autoroute, bouchon, trajet au ralenti"Sueur soudaine, pas d'autre vol dans les 24 heures, vision du gala annulé dans la capitale pour lequel je sais que la salle de concert est déjà comble, soirée au Méridien de POG autour du repas basque annulée, spectacle à Roger Buttin à l'eau...

Peu après, j'apprends par ma correspondante à Libreville que la troupe a finalement pu embar-quer sur le vol d'Air France grâce à la tolérance horaire du commandant de bord. Me voyant soulagé, ma collègue gabonaise affirme : "au bout de la patience, il y a le ciel". Je n'en doute pas.
Le jeudi soir, je présente le chœur sur la scène du Centre culturel devant tout l'aréopage libre-villois : Premier ministre, président du Sénat, membres du gouvernement, ambassadeurs, corps constitués. Surprise lorsque le ministre de la Culture me fait savoir qu'il souhaite intervenir à l'entracte. Il amusera beaucoup l'assistance en avouant qu'il avait travaillé l'été, alors qu'il était étudiant à Paris, au café de la                                                                                                         Marine à St Jean-de-Luz !

Une soirée mémorable

Dans ma négociation avec le directeur breton du Méridien de Port-Gentil, j'ai échangé l'hébergement du groupe contre un dîner festif le vendredi soir. Enorme succès : il a dû ajouter des tables, nous serons 230 convives.
Son chef a concocté des recettes typi-ques du Pays basque dont le menu affiché révèle la variété gastronomique des provinces de Biscaye, du Labourd, de Navarre, du Guipuzcoa ; les mets sont servis accompagnés de vin Rioja de la province d'Alava. Le chœur d'hommes anime l'apéritif avec des chants qui, sans dévoiler la teneur du récital du lendemain, proposent un registre à la fois émouvant et entraî-nant. Nous écoutons ces voix singulières dont l'ampleur océane et le murmure du vent du sud emplissent la salle. Chants qui véhiculent la mémoire sensorielle, qui disent l'attachement aux traditions, et ma réponse à l'interrogation de mes amis gabonais surpris par ce profond enracinement : "Vous avez vos ethnies, nous appartenons aussi à une ethnie".

D'abord positionnés en demi-cercle, les chanteurs se déplacent autour des tables en accordant une aubade. 


Puis le chef de chœur me fait signe de les rejoindre avec notre ensemble Mandjikoak. Nous interprétons quelques classiques des deux côtés des Pyrénées qui font se lever les convives pour entonner les refrains 
des fêtes de Bayonne.
Nos répétitions tenaces à la maison du Calao - avec
le support de quelques cd et l'approvisionnement  assidu de bières - n'ont pas été vaines. Même ma femme y va d'un : "je m'attendais à bien pire". Et l'épouse du patron d'une société de forage avouera plusieurs années après lors de retrouvailles des anciens de l'époque à Hossegor : "quel plaisir de
vous revoir tous, vos fêtes sont inoubliables. Après votre départ, ça n'a plus du tout été pareil".

Le concert de Port-Gentil

La salle Roger Buttin est en ébullition. Il faut dire que l'enthousiasme provoqué par le concert de Libreville - quatre rappels frénétiques - et les échos de la soirée de la veille ont fait le tour de Port-Gentil. Au point que je m'enquiers auprès de la sécurité du nombre de spectateurs que nous pouvons admettre sans risquer de problème d'évacuation en cas d'accident malencontreux. Pour la circonstance, je demande une vigilance accrue aux deux pompiers de permanence et fais renforcer la capacité des groupes électrogènes.




Je me livre à nouveau à la présentation : "Leur nom Oldarra veut dire impulsion, élan. Leur répertoire polyphonique mêle chants profanes et liturgiques, fandangos et berceuses, chants marins et chants d'amour - amour du pays, amour pour la bien-aimée, amour pour la famille - et aussi nostalgie de l'exilé. Je suis fier de vous présenter ce soir mes compatriotes."

Conformément à la tradition basque, notre directeur général se voit remettre la boïna d'honneur, large béret sur lequel est brodée en langue et caractères basques une devise personnalisée. Celle qui figure atteste à la fois la prépondérance du territoire et le respect de l'homme : 
"au cœur de la terre et des traditions, là est ta maison".

A l'issue d'une exhibition de deux heures marquée par un fabuleux engouement de la part du public, nous rejoignons la villa du DG en bord de mer où il a convié le consul général de France et madame, les membres représentatifs de la colonie française, les sponsors, les managers de la filiale avec leurs conjoints. Trente tables rondes ont été dressées dans les jardins en bord de mer. Nous espérons que nous n'aurons pas d'attaque virulente des moustiques nocturnes.


La messe chantée

Au cours des échanges que nous avons autour de la table, le chef de chœur me dit qu'il a voyagé entre Libreville et Port-Gentil en compagnie du prêtre qui officie à la cathédrale Saint-Louis. La discussion a très vite porté sur les chants liturgiques qu'Oldarra interprète. Et il m'annonce qu'il a accepté de chanter la messe de ce dimanche à l'office de onze heures.
Il pleut à verse. Sur le chemin de l'église, les chanteurs font connaissance avec la pluie tropicale et l'évaporation humide. Les manguiers et les palmiers ont ce relief particulier que leur confère le ciel sombre. Quand nous pénétrons dans la cathédrale, la résonance sur le toit est terrible.



La foule des fidèles est déjà présente sans savoir que la messe sera animée en alternance entre la chorale des femmes myéné dans la nef du bas et Oldarra installé dans la galerie en haut.

Et puis "miracle", les trombes d'eau s'arrêtent instantanément comme cela arrive souvent sous ces latitudes. Il règne alors un calme apaisant dans la touffeur de l'église.

Lorsque le chœur d'hommes intervient en répons au premier psaume chanté par les femmes, toutes les têtes se lèvent en se tournant vers la galerie. L'assistance demeure saisie puis, à la
fin du cantique, applaudit avec ferveur. Cette messe restera dans les annales de Port-Gentil.




Sortie à la Pointe Chapui

Pour remercier mon équipe de l'Assceg et les services qui ont contribué à l'organisation de la tournée, nous affrétons une barge pour traverser la baie et nous transporter à la Pointe Chapui ce même dimanche en début d'après-midi.
Là, mes collègues et moi-même avons la surprise de nous voir remettre des présents. En ce qui me concerne, je reçois la cravate officielle d'Oldarra ainsi qu'un livre-souvenir. Nous avons droit à l'aubade correspondante sous l'auvent de la case. Un groupe de danse local prend la relève et participe ensuite à la rythmique du fandango, sous l'impulsion du chef de chœur. Et exécuter une telle danse sur le sable demande une sacrée technique de la part de deux des membres du groupe.

Ils repartent lundi matin sur Paris via Libreville, cette fois
sans incident de vol. Six mois plus tard, ils nous recevront
en leur batzoki à Biarritz. C'est, dans la tradition basque, le
lieu de rencontre des membres d'une association, équipé 
afin de pouvoir y tenir leurs réunions et partager les repas préparés à tour de rôle.


Culture francophone

Parmi mes dernières obligations (au sens primal de rendre le service attendu avec plaisir et reconnaissance) à la tête de l'Assceg figurent deux événements culturels et un événement sportif qui valorisent notre rôle de société ouverte : la journée de la francophonie, une exposition de peinture et d'art plastique, et la clôture de la saison de la ligue de football.

La journée de la francophonie coïncide avec le bicentenaire de la naissance de Victor Hugo. Et c'est tout naturellement au collège Victor Hugo que le consul général de France invite le public à prendre connaissance de l'iconographie consa-crée à la grande figure du romantisme. Il rend également un hommage appuyé à Léopold Sedar Senghor disparu trois mois auparavant en décembre 2001. La journée se clôt avec la conférence d'un professeur en ethnologie de l'université de Libreville et par ailleurs Conseiller culturel que j'attends avec mes collègues à l'entrée de la salle Roger Buttin. Dans son intervention fondée sur l'enrichissement du langage, il dira : "C'est sous l'impulsion du grand Senghor en 1969, à Niamey, que l'Organisation internationale de la Francophonie a vu le jour.
Aujourd'hui, ce sont 54 pays qui en sont membres et 170 millions de locuteurs qui parlent le français. Je vous livre ici
une de ses pensées : "La langue française est, entre nous, un magnifique instrument d'équilibre, d'harmonie et de progrès
au service des peuples qui sont faits pour s'entendre, à l'exclusion d'autres considérations de race, de croyance ou d'idéologie". Puis les lauréats élèves du lycée d'Etat, du lycée Raponda Walker et du collège Victor Hugo se livrent à une lecture de leurs œuvres et reçoivent leurs récompenses sous forme d'ouvrages de la littérature française. 




Neufs peintres et plasticiens ouvrent une fenêtre sur leur art pendant une semaine et expliquent leur démarche créatrice. L'un des sculpteurs fournit des explications sur les essences de bois et sa façon de les travailler : okoumé, padouk, kevazingo.




Enfin, je suis invité à clore le championnat de football de la ligue pour le dernier match qui va consacrer l'équipe vainqueur à l'issue de la saison. Le ministre des sports, le Président de la ligue et ancien international qui a porté les couleurs de l'Azingo et les instances régionales du foot sont présents pour vivre cet enjeu entre le Royal FC et le Dynamo.



Assceg : le bilan

Je termine le mandat de deux ans qui m'a été confié début mai 2000. Lorsque je regarde le chemin accompli, je reste ahuri par l'enthousiasme, l'engagement et le dyna-misme qu'il nous a fallu, à mon Bureau et à moi - en sus de nos activités professionnelles -, pour tenir le rythme des événements que nous avons organisés et auxquels nous avons apporté notre appui. Ce que j'ai évoqué ne représente qu'une infime partie de ce que nous avons accompli. Il y a deux innovations qui me tiennent à cœur, dont je n'ai pas parlé, mais qui ont constitué des moments forts dans ce mandat :
l'institution de la remise des médailles du travail au personnel permanent de l'Assceg et la désignation de délégués du personnel dans le cadre de l'esprit de la loi à défaut de l'existence juridique d'un établissement.





Alors, c'est à la fois avec l'énorme satisfaction d'avoir dirigé une équipe franco-gabonaise soudée et d'avoir développé la vocation pluriculturelle de ce fantastique outil que, conformément au principe de l'alternance, j'ai remis le Calao à mon successeur gabonais. Toute la filiale s'est rassemblée et de nombreuses autorités se sont déplacées : le Gouverneur de la province, le Consul général, le Préfet, le Commandant du 6e Bima, les attachés culturels, les représentants des fédérations sportives.

Quand le cinéma se déplace

Les salles de cinéma proprement dites sont très peu répandues dans le pays. Et, lorsqu'elles existent, elles sont plus proches de nos anciennes salles de patronage à l'atmosphère moisie et aux sièges ramollis que des salles de projection climatisées avec distributeurs de bonbons et de cônes glacés.
Dans un rôle de diffusion civilisatrice s'est développé dans les années 50 le cinéma itinérant de brousse : une camion-nette à l'intérieur aménagé pour transporter les projecteurs (toujours en double en cas de panne intempestive), l'écran et son support pliant, deux amplificateurs (idem que pour les projecteurs), le groupe électrogène et sa réserve de gazole plus quelques bobines (avec recours au remplacement en cas de cassure du film) sachant que la séance propose deux projections dont souvent un documentaire de propagande. Le trajet est dépendant des aléas climatiques, de possibles rencontres avec la faune locale, de pannes mécaniques ou de crevaisons. J'avais eu l'occasion, lors de mon premier séjour en 1985, d'assister au transbordement d'un tel équipage sur un bac.
Nous sommes là bien loin des facilités offertes par l'Assceg. 


retour à l'épisode précédent :  
Gabon - une histoire de Port-Gentil
à suivre épisode 29 :
Gabon - tout ce que vous n'avez pas vu dans les épisodes précédents



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