épisode 32 : Cameroun - le Ngondo et le peuple Sawa

Nous arrivons à Douala fin août 2006. Nous y retrouvons des anciens qui ont séjourné en même temps que nous en Angola et qui nous accueillent dans le quartier Bonapriso. Les bureaux se trouvent répartis dans trois zones : les quartiers Akwa, Wouri et Bassa.
Le temps de prendre nos marques - circulation, marchés et centres d'intérêt - et nous recevons une invitation pour assister à la cérémonie du Ngondo. Elle participe de la tradition du peuple Sawa "peuple de l'Eau" dont les ancêtres sont venus d'Egypte et qui réunit plusieurs ethnies côtières de langue douala, qui appartient à la grande famille des langues bantoues. C'est par leur hégémonie acquise dès le XVIIe siècle - grâce au commerce ainsi qu'à la traite des esclaves - que les Douala ont imposé leur langue.

"Paï o Madiba !"

Le Ngondo originel avait pour objet de fédérer les peuples côtiers autonomes et belliqueux, gaspilleurs d'énergie guerrière et procédurière, dans une assemblée amphictyonique inspirée de la Grèce antique.
Ce genre de ligue est dotée d'une vocation sacrée qui permet la célébration des fêtes dans un climat exempt de toute hostilité. Il semble que sa création en 1830 ait tenu à une histoire de désordres répétitifs occasionnés par un colosse nommé Malobé qui venait régulièrement dévaster le marché des Douala. Les chefs des quatre clans se seraient alors entendus pour mettre fin à ces provocations en sollicitant l'inter-vention d'un puissant guerrier nommé Engômga. Ce dernier gagna le terrible combat et le perturbateur fut vendu comme esclave. De cette époque date le souci des peuples côtiers de vivre en respect, cohésion et partage.


Il convient d'être présent très tôt car la chaleur du mois de décembre va plomber les cinq heures prévues de cérémonie.



Nous arrivons vers huit heures, nous sommes accueillis par un guide en costume antique et
dirigés par une hôtesse vers les tentes officielles.






Nos places sont réservées juste à côté de la Grande case où commencent à s'installer les invités de marque conviés à valider l'oracle du fleuve.


Ce sont des notables des chefferies douala dont les ancêtres ont contribué au maintien de ce legs.




Cette cérémonie fut d'ailleurs interdite par les Allemands en 1910 lorsqu'ils projetèrent d'exproprier les natifs pour construire une grande zone urbaine réservée aux coloniaux. 
L'opposition à ce projet est menée par Rudolf Douala Manga Bell, alors chef suprême des Bell. Il réussit à rallier les deux autres rois et opère des rapprochements avec toutes les tribus périphériques. Il est pendu en 1914 et le roi Dika Mpondo Akwa, qui s'était rallié, est déporté. De ces événements découleront la haine envers la nation allemande et le recours aux Britanniques.

Au bout d'une heure, et alors que la température s'élève sous les tentes et que l'air chaud est saturé d'humidité, nous voyons s'appro-cher le cortège des membres du Conseil des Anciens. Ils sont vêtus du sandja enroulé autour de la taille et dont les pans balaient les chevilles, de l'ample chemise blanche nouée sur les reins par une ceinture en tissu et coiffés de la toque traditionnelle noire en raphia.


L'oracle


On apporte les trônes pour les hauts dignitaires. "Paï o Madinba" s'écrie le Vénérable une fois installé sur le trône des souverains Akwa : c'est la pagaie qui fait avancer la pirogue en un mouve-ment collectif et partagé, peuples unis vers le même but.

La barque rituelle se déplace sur le fleuve Wouri vers le lieu de consultation des mânes. Sur le geste solennel du Vénérable levant son chasse-mouche, monte la mélopée incantatrice qui accompagne l'invocation des miengu. Ces esprits sont censés apporter fécondité, abondance, paix et fraternité. De tous côtés, les serviteurs affluent, portant les symboles et attributs des eaux et de la nature.


De la barque un serviteur plonge dans les eaux pour immerger la marmite sacrée. Et les révélations s'avèreront d'autant plus puissantes que la durée de l'apnée sera longue.

La foule attend dans un silence respectueux puis c'est la clameur, la marmite est remontée à bord de la barque qui cingle vers le rivage.


Elle est introduite alors dans la case rituelle pour être déchiffrée par les sorciers habilités.










Des serviteurs camouflés sous des plaques d'écorce et des amas de mousse (voir cliché en haut de page) gardent le lieu dans une immobilité sylvestre.
Là également le facteur "temps" influe sur l'oracle mais de manière inverse : plus c'est court et meilleures seront les prédictions. Il est presque midi, quatre heures de quasi-immobilité nous engourdissent et nous recevons maintenant les rayons du soleil de face. Heureusement, mon épouse s'est munie de l'éventail "spécial cérémonie qui dure" qu'elle manie adroitement pour dispenser une ventilation bienvenue.

Trois servantes de cérémonie font une haie d'honneur façon drapeau camerounais lorsque la marmite et son porteur se dirigent vers les dignitaires afin que l'oracle soit porté à leur connaissance, et à eux seuls. Cette assemblée est habilitée à recevoir la croyance dont elle fera bénéficier le peuple dans l'élan d'œcuménisme qui pourra alors autoriser les réjouissances.



Toute l'assistance est debout pour recevoir l'eau sacrée dont une belle giclée nous rafraîchit. Ainsi sommes-nous mis sous la protection de l'oracle pour l'année à venir, et nous en acceptons l'augure.

Dans le sillage de l'officiant, une agitation exaltée projette le public vers les berges du Wouri. Les pirogues qui vont s'affronter sur ce bras du fleuve se positionnent pour la course qui constitue le troisième temps fort de la cérémonie.

La course des pirogues



Une partie des spectateurs s'avance dans le fleuve, hurlant les encouragements à leur équipage préféré tandis que les rameurs attendent le signal du départ.

Les dix pirogues engagées sont chargées à ras-bord des pagayeurs et du barreur, et leur étrave est munie d'une proue vivement colorée et étonnamment fine et ciselée.
J'essaie de dénombrer les rameurs, il me semble en compter trente-huit par pirogue.

Les rames plongent dans l'eau avec une cadence approximative qui fait tanguer les coques. La surcharge et les effets du fort courant enfoncent les embarcations, submergées par les à-coups du clapot. La majorité des équipages ne sait pas nager.


Une foule dense est massée sur le pont qui enjambe le fleuve pour avoir une vue d'ensemble sur cette lutte spectaculaire. Je n'ai pas pu bien déterminer le circuit mais, aux hurlements qui s'amplifient sur la rive, nous devinons que la pirogue victorieuse vient de franchir la ligne d'arrivée


Le vainqueur est triomphalement promené sur une chaise à porteurs dans tout le périmètre de la fête. Il défile cigare aux lèvres et récom-penses étalées sur les genoux.

Il se fait conduire pour aller recevoir les félicitations de miss Divinité du Fleuve revêtue d'une tenue aquatique appropriée.


retour à l'épisode précédent :  Nigeria - le partage des cultures

à suivre épisode 33 :
Cameroun - rencontres métissées et traditions croisées



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