épisode 14 : les Nouveaux Cahiers de l'Adour- base cherche sommet pour édification

"Les mots sont à tout le monde. Vous êtes tenus de faire des mots ce que les autres n'en font pas".
Nous plaçons cette phrase de Pierre Reverdy en slogan de la revue littéraire. Le projet a pris définitivement corps lors de ma rencontre fortuite, à la librairie bayonnaise Le Livre, avec l'écri-vain Pierre Bourgeade. Je me trouve dans le salon de lecture où je débats avec le libraire Mouchès et le Conservateur de la bibliothèque municipale, M. Chevalier, de l'audience d'une revue consacrée aux textes courts - nouvelle, poésie, récits. L'auteur se mêle à notre conversation et se montre vite attentif à ma démarche. Son enthousiasme est communicatif lorsqu'il déclare : "Les revues sont indispensables à la vivacité de l'écrit". Venu en voisin d'Hendaye où il possède une villa, Pierre Bourgeade évoque deux écrivains bayonnais qu'il côtoie à Paris : Tony Cartano et Florence Delay. Le premier - dont la mère tenait une épicerie au quartier St Esprit - est romancier, directeur littéraire des Presses de la Renaissance et collabore à la Quinzaine littéraire, aux Nouvelles littéraires et au Magazine littéraire. La seconde (prix Fémina en 1983) est la fille de l'aca-démicien Jean Delay - psychiatre et neurologue réputé - et petite-fille de Maurice Delay, qui fut maire de Bayonne. Elle participe aux études sur le langage de l'Oulipo - l'Ouvroir de littérature potentielle - aux côtés de Jacques Roubaud.

Création & envol

Mon entrevue courant septembre 1989 avec l'adjoint au maire chargé des Affaires culturelles, tout nouvellement élu, pose les bases d'une future collaboration fondée sur l'élargissement du patrimoine
de la cité : "La ville de Bayonne est réputée pour son patrimoine historique, la fabuleuse collection de tableaux du musée Bonnat, la qualité et la diversité de sa gastronomie, la convivialité de ses fêtes.
Nous avons l'ambition d'y ajouter la composante littéraire". Rien de moins !

De quatre au départ, notre comité de rédaction compte six membres au bout de deux ans. Nos premières assemblées générales et remises des
prix se tiennent dans la salle Ducéré, annexe de la bibliothèque municipale. Sa dénomination est un hommage à Edouard Ducéré (1849-1910), biblio-thécaire-archiviste de la ville et membre de la Société des Sciences et Arts. Nous nous plaçons volontiers sous l'égide de cet homme érudit profondément attaché à l'histoire de Bayonne.



Bernard Massé (à gauche), adjoint au maire chargé des Affaires culturelles, en discussion avec le nouveau conservateur de la bibliothèque municipale Claude Husson : la conversation est centrée sur une phrase retenue de mon intervention lors de l'assemblée générale : "si écrire pousse à la solitude, et non à l'isolement, il convient d'en mesurer l'influence pour donner au lecteur sa part de découverte".
Au centre et en arrière-plan, Georges Dupiot (fondateur de la confrérie du Jambon de Bayonne) et le député européen Alain Lamassoure (de dos).







Alain Lamassoure (à droite sur la photo ci-contre) nous raconte ensuite la chute du mur de Berlin alors qu'il participait à la réunion de la commission juridique du Parlement européen la première semaine du mois de novembre 1989. A la fin de la journée du 9 novembre, il capte des bribes d'information : "le politburo de Berlin-Est a démissionné" ; deux cadres du SED (parti socialiste unifié) se sont suicidés" ; "les voyages à l'Ouest sont autorisés !". A minuit il entend un concert assourdissant de klaxons : des jeunes déchaînés ont coupé un cordon mou de vopos et sont passés à Berlin-Ouest. Les éditions spéciales de la presse sortent à cinq heures : "Berlin ist wieder Berlin !" (Berlin est de nouveau Berlin). Dans la nuit, le premier bulldozer éventre le mur sur la Postdamer Platz. Il séparait la capitale allemande depuis août 1961.
Il nous livre quelques témoignages qu'il a recueil-lis, celui d'une étudiante qui avoue : il y a deux heures encore, j'étais de l'autre côté et tout d'un coup des gens se sont mis à crier "nous pouvons
y aller !" ; et cette autre adolescente qui remonte Invalidenstrasse en comptant les numéros des maisons : "je veux voir jusqu'où va ma rue, de l'autre côté".

Sont également présents Paulette et Peio Duclau (mes tante et oncle) ainsi qu'Albert Chaix, cousin de mon père.





Au palmarès du prix littéraire, nous consacrons (les textes étant anonymes selon une procédure stricte qui interdit toute approche nominative par les membres du jury) une nouvelle de Claude Pelletier, une des plumes bayonnaises réputées. Ses écrits pèsent par leur spontanéité grave et leur lucidité pénétrante. Il personnifie ce que ce coin de Sud-Ouest entre Adour, Océan Atlantique et Pyrénées est capable de produire en matière de sensibilité, d'humanisme et d'enthousiasme. Il figure sur le cliché à gauche, aux côtés de Pierre Espil, de Jolayne Dupiot (qui présente la Plume d'argent) et de Kristina Bru-Popovic.



Le (petit) monde culturel tel que nous l'apprécions


Si nous voulons trouver notre place dans le monde des revues, il s'agit de se montrer. Direction le Biltzar de Sare. Biltzar, en basque, signifie réunion. Grâce à son initiateur Jean-Michel Garat, chaque lundi de Pâques permet aux auteurs, éditeurs, revuistes de faire étalage de leurs publications et de rencontrer un très nombreux public. Nous en faisons l'expérience pour la 8e édition et retrouvons nos auteurs Pierre Espil, Guy d'Arcangues, Marie-José Basurco, Michel Marty ; l'homme de lettres et historien Alexandre de la Cerda ; l'anthropologue Pierre Bidart ; le dessinateur Patrice Rouleau ; le journaliste et écrivain Lucien Etxezaharreta ; le concepteur du dictionnaire des patronymes basques Philippe Oyamburu.
C'est lors du Biltzar suivant que nous nous trouvons à table avec le général Jean Ansoborlo, que mon père connaît bien. Quand il apprend que je suis l'aîné, il me demande de suite quel est mon numéro de brevet parachutiste, sésame nécessaire au titre de la reconnaissance de "frère d'armes" - même si je n'ai fait aucune guerre, ce qu'il ne me souhaite évidemment pas. J'ai toujours en mémoire cette phrase hilarante qu'il nous servit alors que nous en étions au énième armagnac et que son copain de la DST le poussait dans ses retranchements : "La retraite pour un général ? moi vivant, je ne capitulerai jamais. Et souvenez-vous que la fibre militaire est à la base de l'étoffe dont on fait les héros".




Le stand des NCA : photo
de droite Eliette, photo de gauche Jolayne et moi-même.









Nous répondons présents à des sollicitations par les mairies, par des associations culturelles. Nous participons, entre autres, à "La Fureur de lire" à Bayonne.
A ce titre, nous intervenons au collège Albert Camus, en étroite collaboration avec des professeurs volontaires (c'est un samedi matin). Nous proposons une approche ludique de la poésie par la confection de calligrammes et la réécriture de textes dont des verbes et des noms ont été volontairement occultés. Puis l'après-midi, nous rencontrons le public à la salle Ducéré ainsi qu'à la librairie Le Livre.

L'année suivante, je suis "doublement" à la MJC de Pau pour le compte de la revue et avec le groupe Sinaturel. J'y retrouve Pierre Bourgeade qui a gardé des liens profonds avec le Béarn, lui qui est originaire de Morlanne. Nous pouvons nous enorgueillir d'avoir comme tout premier et fidèle abonné cet écrivain anticonformiste, ce dramaturge dont la pièce de théâtre Orden a été à l'origine de l'avènement du Théâtre musical lorsqu'elle a été jouée au festival d'Avignon en 1969. Une fois par an, lors de séjours d'été dans sa villa d'Hendaye, nous partageons des moments d'intense discussion à propos de l'art, de l'origine des Basques, de la poterie de Ciboure (celle qui a pour sujets les thèmes de l'antiquité), du cinéma.

Les deux clichés suivants ont été pris lors de cette soirée à Pau :





dans ce récitatif, je suis accompagné
à la guitare par Eric Lenguin, compositeur et interprète.





Mon activité d'écriture, partagée avec Jolayne, est récompensée par le jury du prix des Trois-Couronnes qui nous décerne le prix Pierre Daguerre pour notre histoire écrite à quatre mains Gradiva. Cette 36e édition (25 septembre 1993) est placée sous le signe de Théophile Gautier et le préfet Jean Monfraix énumère les membres du jury qui ont pour noms François-Régis Bastide, Michel Suffran, Florence Delay, Guy d'Arcangues, Annette Daguerre, Jean-Michel Barate, Michel Fabre.

Jolayne répond aux félicitations du préfet Monfraix. Elle explique notre processus d'écriture et remercie les membres du jury ainsi que l'auditoire qui remplit la grande salle du Conseil de la mairie d'Urrugne.


Jean-Louis Depierris et son épouse Djurdja Sinko-Depierris nous font le grand plaisir d'être présents. Attaché culturel auprès de l'ambassade de France dans plusieurs pays, professeur et écrivain, Jean-Louis nous informe qu'il revient en France ensei-gner la littérature à l'université.
Se trouve au premier rang Georges Saint-Clair auquel l'Académie française vient juste de décerner le Grand Prix de Poésie. Il nous félicite chaleureusement et nous enverra par la suite des poèmes pour parution dans la revue.


Mme Daguerre échange avec nous sur ce qui a contribué à distinguer notre oeuvre : "Une harmonie textuelle et une complicité telles qu'il est impossible de savoir qui écrit. Le style est tout d'aveu retenu et d'amour dévoilé".

Ce récit a fait l'objet d'une édition bibliophile numérotée en trente exemplaires.











Une écriture de "haute lignée", "une rareté", "une dimension, un élan", tels sont les avis formulés par les critiques.



Dialogue sur les ondes

Le local de la radio libre Radio Bayonne se trouve dans notre quartier Saint-Esprit et j'en franchis les portes à l'invitation de son animateur Yves Ugalde. Je passe en direct durant une vingtaine de minutes pour raconter pourquoi et comment nous avons créé les NCA, expliquer le fonctionnement d'une telle revue avec les choix et les orientations, mettre en valeur notre passion et notre ardeur au service des lecteurs. Extrait :
- Il suffit qu'un seul membre défende un  texte pour qu'il paraisse, le corollaire étant que le refus est unanime et sans appel.
- Vous pratiquez en quelque sorte le tamisage par excès. Cela ne nuit-il pas à la qualité ?
- Si par qualité l'on entend élitisme, alors je réponds que non. Nos choix résident en la capacité de chacun des membres à percevoir les affirmations ou les promesses de style. C'est cela l'expression de la qualité pour nous.
- Par quel autre moyen alimentez-vous votre vivier d'auteurs ?
- Par notre concours littéraire annuel. Reconnu comme exigeant, il draine de plus en plus d'auteurs qui veulent s'étalonner.

retour à l'épisode précédent :  Les lettres retrouvées [4]

à suivre, épisode 15 : Les Nouveaux Cahiers de l'Adour - l'affirmation d'un style




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Commentaires


  1. Quelle revue ! 📘…Que de riches souvenirs !… Une grande aventure avec des nouvelles et des vers riches d'images et d'émotions. Grâce à vous, les mots trouvaient là, un bon endroit pour vivre ! Un grand "MERCI" à Philippe et à la belle équipe !☀️🎶"

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