épisode 12 : le cycle des possibles - Amérique latine

Le royaume de Guatemala englobait, au XVIe siècle, le Chiapas au sud du Mexique, le Guatemala, le Belize, El Salvador, le Honduras, le Nicaragua et le Costa-Rica. Antigua en était la merveilleuse capitale mais sa construction sur une ligne de faille l'a exposée à deux très violents séismes, dont celui de 1773, qui l'ont en partie détruite.
Depuis Guatemala Ciudad, l'actuelle capitale, je parcours environ vingt-cinq kilomètres vers l'ouest pour rallier cette ville symbole du siècle d'or espagnol. La culture maya a bien résisté aux consé-quences de la conquête ibérique. La civilisation maya est la plus ancienne des civilisations précolombiennes qui comprennent les Incas (XIIIe siècle) et les Aztèques (XIVe siècle). Les deux ensem-bles de manuscrits qui constituent les textes fondateurs du peuple maya sont le Chilam Bala, rédigé au Yucatan, et le Popol Vuh écrit en quiché, et sont postérieurs à la conquête espagnole. Ces documents retracent les cycles de vie, de mort et de renaissance dans un contexte de finitude inéluctable de l'existence.



En pays maya

Pour m'orienter dans Antigua, je bénéficie de la configuration hippodaméenne de la ville, à savoir que les avenues et les rues sont rectilignes et se coupent à angle droit. Les axes nord-sud sont les "avenidas" et les axes est-ouest sont les "calles".


En dépit des séismes, la ville conserve ses maisons de plain-pied typiques de l'architecture coloniale hispanique. Les murs colorés en jaune
ou rouge arborent des fenêtres aux lourdes ferronneries.
Les rues pavées présentent une déclivité concave pour l'évacuation des eaux pluviales. L'arche de Santa Catalina permettait, à l'origine, aux religi-euses de passer de leur couvent à l'école sans avoir à traverser la rue. Elle ouvre sur le lointain volcan de Agua (3 500 m d'altitude). Sur les bas versants, la population cultive le maïs, le café et la canne à sucre.


Traversant la primera calle Poniente, je me dirige vers la cathédrale de la Merced. Ses clochers bas et trapus ont été construits de manière à résister aux tremblements de terre. Sa façade témoigne du style hispano-baroque en vigueur au XVIe siècle. Tout à fait en haut du corps central figure la statue de Don Pedro Nolasco, fondateur au XIIIe siècle de l'Ordre de la Bienheureuse Vierge Marie de la Miséricorde.
En dessous veille la Vierge entourée de deux saints martyrs. L'intérieur de l'église est d'un blanc imma-culé et la nef abrite un immense Christ à la croix qui est porté en procession pendant la Semaine sainte.

Sur la route du lac Atitlan

Pour parvenir à Panajachel, je prends la direction de Chimaltenango et Patzun.



Arrivée à l'hôtel après une heure et demie de route. Il fait presque nuit et il règne une agitation de samedi soir avec les réservations des familles venues se détendre loin de la capitale.
Je me lève très tôt le matin pour contempler le lac Atitlan. Les contours mauves des volcans Toliman et Atitlan dominent les eaux planes.

Moment de commencement du monde, le ciel légèrement voilé donne un ton cireux à la surface immobile du lac. Moment de pur silence dont je profite... Puis des embarcations convergent depuis les rives des villages de San Pablo, San Pedro, Zunil, Santiago pour rallier les marchés de Solala, San Francisco el Alto, San Antonio Aguas calientes.
Quichés, Cakchiquels, Tzutuhils vont vendre leurs marchandises et acheter les produits dont ils ont besoin. Mais c'est au marché de Chichicastenango que je choisis de me rendre.


crédit photo : longroadSTT

La route entre Panajachel et Chichicastenango,
qui traverse la chaîne de montagne, est étroite et sinueuse. Je m'annonce en klaxonnant à chaque virage, frôle les parois rocheuses. C'est après
un virage que je prends à bord un paysan et sa gamine qui attendent un autobus aléatoire. La
petite vomira, pas du tout habituée à voyager en voiture.
Après quelques autres virages sans conséquences, je débouche sur une vallée étroite. Pour me remercier, le paysan me convie à partager le repas familial.
La casa : quatre murs de torchis, un toit de paille, une seule ouverture qui est l'entrée. Un trou pratiqué dans le toit évacue la fumée du brasero sous la marmite.
La fille aînée pose deux assiettes en terre cuite sur la table en bois usé, pour les hommes.




L'épouse me sert 
une portion de chicharones et de patates frites dans une assiette en terre cuite. Le plat posé à côté contient du chipilin, une plante légumineuse à consommer en très petite quantité du fait de sa toxicité.
Le dialogue se fait avec quelques rares mots d'espagnol car la famille s'exprime en quiché. Ils comprennent que je suis un total étranger mais la France ne leur dit rien du tout. Leur horizon est limité aux deux versants de la vallée. Ils triment tous les jours sauf le dimanche pour les dévotions.


Chichicastenango et son fameux marché : c'est une profusion de couleurs tant par les produits que par les vêtements.
Les femmes portent le huipil brodé sur une jupe large à motifs, la tête ceinte d'une étoffe enroulée également chatoyante. Ce sont en grande majorité les femmes qui s'occupent des étals, les paniers étant posés à même le sol. Elles se tiennent accroupies ou assises sur un petit cageot renversé. Je me dis que Dieu joue à la roulette avec les humains, mesurant le strict minimum aux uns, offrant tout aux autres sans qu'ils s'en rendent compte. Au-delà des visions colorées et des senteurs de copal, ces gens aux conditions de vie austères et souvent misérables gardent une dignité sans aumône.
Et leur sourire envers l'étranger donne à leur visage précocement ridé la ferveur du combat quotidien.


On trouve tout sur ce marché : légumes et fruits, poissons, animaux, épices, plantes médicinales, tissus, vannerie, poterie, calcaires, bougies, cercueils.

On rencontre des hommes à la cantina pour boire la bière et le mescal après avoir fait le tour des enclos où sont parqués les porcelets, les brebis, la volaille ou avoir marchandé des ustensiles et outils agraires. 


Ils portent un large pantacourt droit décoré de bandes verticales et d'oiseaux multicolores, la chemise étant classiquement unie à manches. Une ceinture en étoffe ceint leur taille.
A deux pas du marché couvert se dresse l'église Santo Tomas. Cet sur son emplacement qu'a été découvert le Popol Vuh, un des deux livres sacrés des Mayas. Pour accéder au porche, il me faut monter les dix-huit marches qui symbolisent les mois du calendrier maya.



Très tôt, j'ai été attiré par les civilisations de Mésoamérique. La confirmation s'est faite lorsque j'ai trouvé à la bibliothè-que municipale (j'avais alors quinze ans) l'ouvrage Histoire de la conquête du Mexique de l'historien William H. Prescott en deux parties : "La fabuleuse découverte de l'empire aztèque" et "La chute de l'empire aztèque". Ses écrits de 1843 rejoignent dans leur esprit pionnier de reconnaissance de ces cultures ceux de John L. Stephens, à la même époque, au sujet des Mayas. Leur contribution a modifié la vision réductrice qu'avaient alors leurs contemporains dont la considération était uniquement centrée sur les civilisations égyptienne, romaine et chinoise.

Précédemment en Colombie

Ma mission auprès de notre filiale vénézuélienne à Caracas est rapide du fait de la présence d'un nombre restreint d'expatriés en famille, l'essentiel des employés travaillant sur chantier dans la région de Maracaïbo. Après deux jours d'enquête locale, je prends l'avion pour Bogota et atterris à l'aéroport situé à 2 600 mètres d'altitude dans les Andes. L'approche en virage de l'appareil se fait au ras de la cordillère, le survol des bas-quartiers est spectaculaire.

Je loge à l'hôtel Tequendama dont la décoration intérieure est de style contemporaneo-colonial.
Les verrières art-déco installent une ambiance lumineuse propice à la détente dans les confor-tables fauteuils club.
Pour mes déplacements dans les quartiers où je dois effectuer les relevés de prix, je reçois des consignes strictes : pas de montre, de bague, de gourmette, de médaille en évidence ; pas de liasses de billets mais des coupures réparties dans toutes les poches. Mon gilet reporter avec ses poches à fermeture-éclair fait très bien l'affaire. Trois journées entières sont consacrées à arpenter les marchés, magasins, échoppes, boutiques où les familles font leurs achats.
Je peux consacrer le samedi après-midi à la visite du musée de l'or; le bâtiment à l'architecture massive et ramassée fait un peu bunker. Il abrite des pièces d'orfèvrerie pré-hispaniques superbes - statuettes, masques, bijoux - et des céramiques provenant des régions de Quimbaya, Tumaco, Calima, Tolima. J'y acquiers la reproduction d'un masque maya doré fixé sur un socle en bakélite.



Le lendemain, je prévois d'aller à Zipaquira voir la catedral de Sal. Mais, juste après avoir pris le petit-déjeuner local - j'adore la purée de haricots rouges, la tortilla juste assaisonnée et les morceaux de banane frite -, un collègue expatrié m'indique que je peux me rendre chez un propriétaire de mine d'émeraudes si je veux en rapporter une à ma femme (ce dont je lui avais fait part à mon arrivée). Une longue limousine vient me prendre à l'hôtel. Mon collègue doit avoir de très bonnes relations avec le propriétaire. J'espère que je ne me mets pas dans une mauvaise situation en allant un dimanche dans
une hacienda isolée. Sur la route, nous ne somme pas victimes des actes de mendicité ou des jets de pierres de la part des gamins, contrairement aux autres véhicules. J'en déduis que la limousine est connue et respectée.



Nous roulons dans la direction de Soacha qui se trouve à une cinquantaine de kilomètres de Bogota avec une durée de trajet d'un heure et quart compte tenu de l'état de la route. Pour cette escapade d'une demi-journée, je ne dispose pas de photos. L'hacienda est protégée par une sécurité rapprochée, bien visible et dissuasive (se reporter au livre :  chapitre Suite opportune - p. 577 à 582). C'est lors de cette rencontre avec le propriétaire descendant d'une famille basque originaire de Vitoria, province d'Alava, que je m'interrogerai plus avant sur les origines de mon patronyme.


crédit photo : Les p'tits pommés

Je rentre à temps en tout début d'après-midi pour aller en taxi à Zipaquira, dans le massif andin qui abrite la cathédrale de Sel. De tout temps, le sel a été considéré comme une denrée vitale et fut longtemps source de revenus fiscaux.
A deux cents mètres en dessous du sol, les mineurs qui travaillent à l'extraction du sel ont créé ce lieu de prières et de recueillement en 1954 (concession à ce site sacré, je n'ai pas pris de photo)



crédit photo : Instant Tanné



Malheureusement ce site menaçant de s'effondrer, il fut condamné en 1992. Une deuxième cathédrale de Sel fut donc taillée à l'identique mais en y ajoutant une mise en scène plus attractive.
Les scènes de mystère de la Foi sont sculptées dans les parois de la mine.




Je quitte Bogota avec les résultats de mon travail. Ce que je n'avais pas vu au départ de Paris, c'est que je dois faire une escale à Panama alors que je pensais avoir un vol direct jusqu'à Guatemala Ciudad. 
Alors que j'attends patiemment (deux heures) en salle de transit le vol pour la capitale guatémaltèque, je suis alpagué par des policiers qui ont découvert dans ma valise la statuette acquise au musée de l'or et quatre boîte de cigarillos que j'avais achetés en détaxe pour mon père au départ de Roissy. Avec ma tête de pas rasé et ma provenance de Colombie, cela me vaut une sévère fouille au corps, la dégradation d'une boîte de petits cigares et la presque démolition du socle de la statuette soupçonnés de contenir de la drogue.
Je me promets de ne plus jamais revenir au Panama, dussé-je faire un détour de plusieurs heures.



retour à l'épisode précédent : épisode 11  le cycle des possibles - Moyen-Orient


Vous pouvez accéder à la vie du livre et aux présentations en librairie, dans les salons du livre et les médiathèques ou lors de signatures privées en cliquant sur le lien ou le bandeau : 

Commentaires