épisode 34 : pour services éminents - "Honneur et Patrie"

Le 14 juillet 1990, l'adjudant-Chef à la retraite Jean-Marc Saubadine est fait chevalier de l'Ordre national de la Légion d'honneur. Déjà décoré de la médaille militaire pour ses actions au sein du Corps franc Pommiès puis du 49e RI pendant la deuxième guerre mondiale, ainsi que pour son engagement en tant que méhariste dans le Sahara algérien (cf. les épisodes 2 & 4), mon père voit sa carrière militaire reconnue. Quoi de plus "éminent" que de mettre sa vie au service de la Nation en s'exposant dans des campagnes meurtrières où l'on voit ses compagnons d'armes mourir à ses côtés.


La cérémonie se déroule sur l'esplanade de Verdun, monument aux morts de la ville de Bayonne, à l'occasion de la fête nationale. Les différents corps d'armée rendent les honneurs en présence des personnalités requises.

photo de droite : les décorés, de gauche à droite, lieutenant-colonel Labriet, M. Saubadine, M. Prudent,
capitaine de frégate Suin

Article : [...] C'était la première sortie officielle du colonel Jacques Rozier, nouveau commandant d'armes de la Citadelle... C'est donc accompagné de M. Christian Sapède, sous-préfet, du docteur Henri Grenet, maire et président du Conseil général et de M. Alain Lamassoure, député, que Jacques Rozier a foulé pour la première fois le gravier de l'esplanade de Verdun."


C'est l'ami de mon père, Marcel Suarès, Compagnon de la Libération et Commandeur de la Légion d'honneur, qui épingle la décoration au revers du veston. Il s'en suit une fraternelle accolade, manifestation de la longue et respec-tueuse amitié qui les lie. 


J'essaie de capter au mieux les attitudes et les échanges entre l'officier d'active et mon père, vétéran de plusieurs conflits. Je surprends le vif intérêt du lieutenant-colonel, également impétrant, au récit de la prise de Berlin et des aventures sahariennes en Algérie et au Fezzan-Ghadamès, dans le grand erg oriental et sur la ligne Morice.
C'est un pan de l'histoire vivante que cet officier supérieur côtoie même si quelques enseignements lui ont été donnés à l'école de guerre. Le récit de la mission d'accompagnement de deux ingénieurs en mission de repérage hydrographique en Libye laisse l'officier supérieur pantois lorsque mon père lui dit qu'ils étaient chargés d'établir un rapport à remettre au ministre des Affaires étrangères à Alger et que, en fait, ledit rapport s'était retrouvé in fine sur le bureau de Pierre Guillaumat, alors directeur du Bureau de recherche du Pétrole (BRP) avant de devenir ensuite le président de la société pétrolière Erap.
Je surprends un mouvement de tête de mon père dans ma direction qui me fait supposer qu'il enchaîne avec l'improbable destin qui m'a vu intégrer la société pétrolière Elf Aquitaine qui est l'émanation des sociétés BRP, SN REPAL (Edjeleh et Hassi-Messaoud), Erap. Il m'avouera lui avoir également confié que j'étais breveté parachutiste.





Désormais, la décoration suprême voisinera avec les médailles déjà décernées pour faits de guerre et comportement héroïque.
de gauche à droite : Légion d'honneur, médaille militaire, croix
de guerre 39-45 avec étoile, croix de la valeur militaire, croix du combattant volontaire, croix du combattant.

Le 17 novembre 2010, la République française décide d'honorer les combattants à l'occasion du 70e anniversaire de la deuxième guerre mondiale. A Bayonne, ce sont 65 participants qui remplis-sent le salon d'honneur de la mairie, avec les porte-drapeaux des régiments.

"Servant dans notre armée française, au sein des forces françaises libres ou de la Résistance, vous avez accompli
votre devoir aux heures terribles de l'histoire et vous êtes engagés au nom des valeurs qui fondent notre République".
.

Les diplômes sont remis par le colonel Baratz, commandant le 1er Rpima (à gauche sur la photo).

Cette reconnaissance est un remède contre l'oubli : l'oubli par pudeur, par omission, par chagrin. Nos anciens ont agi avec leurs convictions, leurs connaissances, leurs repères. Les générations suivantes se doivent de partager et de comprendre, sans juger à l'aune de leur siècle. Et surtout, une fois tous les témoins disparus, ne pas falsifier ou nier, ne pas arranger ou édulcorer les faits par ignorance, idéologie, duplicité.


Il se remémore ses copains bayonnais du Corps franc Pommiès - Camille Dumogué, Pierrot Dabancaze, Robert Padrones - avec lesquels il a pris part à la libération de Stuttgart (22 avril 1945) et de Berlin (2 mai 1945). Ces campagnes sont relatées dans l'épisode 2 "du Sud-Ouest à Berlin, la campagne hivernale du Corps franc Pommiès".


Le 49e régiment d'infanterie, 
ex-Corps franc Pommiès, est désigné pour tenir garnison à Berlin et est choisi pour représenter l'infanterie française au défilé de la Victoire le 7 septembre 1945 sur la Berliner strasse. 

Une fois à la maison, je lui demande de me raconter son itinéraire de combattant avec la remontée du Corps franc Pommiès depuis le Sud-Ouest vers l'Allemagne. "Ce serait trop long mais je peux te parler de la reconquête des territoires de l'Est de la France. Notamment de la bataille très meurtrière d'Autun. Ce furent trois jours d'un terrible combat contre plusieurs milliers d'Allemands désespérément accrochés à cette zone pour empêcher la progression de la 1re armée de De Lattre. Les quatre bataillons du régiment Valmy se sont lancés sans nous attendre, ni les blindés du 2e régiment de Dragons emmenés par le colonel Demetz. Leur tentative échoue et les pertes sont sévères. C'est finalement le 10 septembre 1944 que nous délivrons Autun et provoquons la reddition de la colonne allemande. Pour cette action, nous recevons une citation à l'ordre du Corps d'armée".

De Lattre parlera alors de "la grosse affaire d'Autun" qui a joué
un rôle primordial dans la libération de la France.


L'insigne du 49e RI incorpore la fameuse étoile noire du Corps franc Pommiès. Depuis 1870, et en dépit de deux dissolutions
en 1923 et en 1940, le régiment tient garnison à Bayonne. Les faits d'armes sont inscrits sur le drapeau tricolore :  Jemmapes 1892, Alger (1830), Sébastopol 1855, Solférino 1858, Craonne 1917, Montdidier 1918, Courcelles 1918, Laonnais 1918, Résistance Languedoc-Pyrénées, Stuttgart 1945, AFN 1825-1962.



Le deuxième insigne que mon père arborera est celui de la Compagnie saharienne portée des Oasis (CSPO) dont le canton-nement se trouve à Ouargla, au Sahara algérien. Il y est muté en 1946 tandis que ma mère, simple employée des Postes, accepte
de prendre la charge de receveuse, les fonctionnaires gradés ayant tous refusé de venir vivre dans le désert.


Pour mes onze ans, comme il me l'avait promis, il me fait cadeau de la médaille commémorative du Cinquantenaire de la création des compagnies sahariennes.



retour à l'épisode précédent :  Cameroun - rencontres métissées et traditions croisées

à suivre épisode 35 : les adieux à l'Afrique



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