épisode 9 : université et conscription


Après une année en MP-PC (Mathématiques-Physique et Physique-Chimie), pendant laquelle j'ai passé plus de temps à essayer de comprendre les énoncés de maths qu'à résoudre les problèmes posés, je m'inscris en Sciences économiques avec la ferme intention de boucler le cycle d'études de quatre ans.




Le campus 

La vue générale du campus montre l'alignement des bâtiments de la faculté des sciences, le restaurant universitaire, la bibliothèque.




Le jour de la rentrée - en fait les rentrées selon les études et les cycles -, une nuée d'étudiants se presse devant quelque trente panneaux d'affichage. Je cherche celui des Sciences éco 1re année. Vu, c'est à la salle Aula magna. Avec mes deux amies, nous débouchons sur une immense esplanade sur laquelle se dresse, contemporaine et granitée, la "fontaine pétrifiée".




En proche perspec-tive s'élève, façon temple moderne, l'amphithéâtre. L'entrée couverte est soutenue par des piliers de béton érigés sur une large volée de marches. 
Les quatre portes à double battant ouvrent sur une arène de plusieurs centaines de places (de l'ordre de sept cents personnes).


Les gradins s'étagent jusqu'en bas, laissant un passage entre le premier rang et l'estrade. Mais pas une estrade simple, pas une de ces surélévations pour l'annonce du concours des cracheurs de noyaux de cerise ou l'élection du roi des menteurs, non, une estrade qui occupe toute la longueur du mur. Il règne un vacarme fait de cris de retrouvailles, de chahut palpitant et de sourde résonance. En regardant vers le haut, je m'aperçois que les marches d'escalier sont remplies d'élèves assis.

J'obtiens une chambre en cité universitaire, ce qui soulage les dépenses non négligeables prises en charge par mes parents.



Avec les copains de lycée retrouvés et des étudiants en droit et en médecine, nous occupons le troisième étage du bâtiment. Chaque chambre fait environ dix mètres carrés. Les services communs sont en bout de couloir : sanitaires et local équipé de plaques de cuisson. Cette pièce commune est très utilisée pendant les révisions des partiels et des examens pour chauffer l'eau du café soluble et préparer le thé. La chambre est équipée d'un lavabo, d'un lit et d'un bureau, de deux chaises.
Une fenêtre avec volet roulant donne sur un bosquet d'arbres et une pelouse dégarnie. Néanmoins, je me trouve mieux ici qu'en ville. Les filles occupent un bâtiment séparé, fermé à 22 heures, concession de l'après mai 68 pour rassurer les parents.



C'est dans ce bâtiment que se déroulera l'épisode de la vache montée à l'étage. En haut, suspendu à un harnais, un pauvre animal meuglant est descendu au bout d'un palan ; en bas,
le fermier voue aux gémonies les imbéciles qui ont fait grimper sa vache et qui ont grossièrement dessiné le découpage "façon boucher". Le modèle ci-contre ne rend absolument pas compte de l'amateurisme de la chose. Pas fier sous le regard noir de mes deux copines dont les parents sont agriculteurs, l'instigateur de la maltraitance est prié de nettoyer, avec ses complices, les escaliers et le couloir.



Afin d'optimiser les recherches en bibliothèque, nous convenons d'un roulement de présence aux cours magistraux. Cela nous permet de bien préparer les travaux dirigés, sources de compré-hension des matières. Si la bibliothèque de droit-sciences éco nous est ouverte sans modération, l'accès à la salle des ordinateurs de la fac de sciences est strictement contingenté. Tous les samedis matin, j'irai faire la queue devant les
machines à perforer les cartes pour faire tourner mon pro-gramme scientifique en Fortran. En fait, il s'agit de coder à partir de la carte JOB (écriture du problème sur papier). Et comme il y a des erreurs de programmation, j'attendrai mon tour dans la noria d'étudiants (je peux y passer plusieurs heures d'affilée). Nous l'avons baptisée "machine à subrou-tine" à cause des séquences d'instructions répétitives appelées depuis n'importe quel bloc fonctionnel, et des concaténations des chaînes de caractères.
J'utilise les cartes à 80 colonnes par ligne. Lorsque le programme fonctionne je récupère le résultat en fin d'après-midi.




Le midi, le restau U est pris d'assaut, les files d'attente contournent souvent le bâtiment dans la cohue et le désordre.

Il m'arrive parfois de devoir écarter la foule pour permettre
le passage d'une jeune fille et de sa poussette... ou seulement pour que mes copines ne soient pas piétinées. Il est vrai que les repas sont rarement savoureux même si je m'astreins à ne jamais laisser de nourriture. Ce que l'on m'a appris à la maison : le pain rassis était trempé dans le lait ou converti en pain perdu, les restes étaient donnés au clochard de la rue voisine ou accommodés. Nous ne jetions rien.



Après l'obtention du DEUG (diplôme d'études universitaires générales), je passe l'épreuve d'admission en maîtrise de Sciences de gestion. C'est une formation récente. La première promotion est sortie de Dauphine et les deuxièmes années actuels à l'université de Bordeaux seront diplômés à la fin de l'année. Le marché du travail a très bien accueilli cette formation adaptée aux besoins des entreprises. Je choisis finances et gestion bancaire avec option ressources humaines.
Le stage obligatoire en entreprise entre les deux années d'études, que j'effectue dans une grande agence bancaire de Bayonne, me donne l'occasion de travailler sur les dossiers de financement des PME.

La Côte basque

C'est dans les rouleaux de l'Atlantique que j'ai appris à maîtriser les vagues. Les zones de baignade étaient très étendues et l'on pouvait glisser sur nos planches en bois sans risquer de heurter les baigneurs.
crédit photo : Pablo Ordaz

Mais, en 1975, on constate que les plages d'Anglet ont reculé de plus de cent mètres en moins d'un siècle. Six épis de blocs de pierre sont alors édifiés au sud de la côte angloye, à l'esthétisme douteux et aux résultats sans cesse ballottés par les mouvements tournants qui contrarient les dérives littorale et fluviale. Il n'y a plus d'évolution naturelle de l'estran.



Désormais, et en regrettant les spots de glisse, je me tournerai vers la Grande Plage de Biarritz. Sur-nommée "la plage des rois et la reine des plages" du temps où toute l'aristocratie européenne et les vedettes américaines du cinéma fréquentaient le Palais et étaient reçues par Guy d'Arcangues en son château, elle demeure la perle de la côte atlantique.



Sur le sable - du vrai, pas des cailloux, ni des galets - s'étalent des Australiens (sodas et planches de surf), des Français (amoncellement de chairs et de jouets), des Anglais (contraste en rose et blanc), des espagnols (pique-nique et radio), des groupes d'adolescents (cigarettes et ballon). Entre le casino municipal, construction art-déco à gauche de la photo, et le casino Bellevue qui ferme l'anse, la plage est dominée par une colline plantée d'horten-sias roses, bleus, carmin, pourpre. Une allée en pente et virages doux permet l'accès à l'esplanade du centre-ville.

Pour bûcher les examens, je me réfugie à la ferme, dans le pays de Cize. Là, pas de tentations, pas de distractions.




Hormis de temps à autre une balade en montagne pour rassembler les pottok en estive et s'assurer de leur état. Les coteaux et vallons offrent leurs flancs couverts de fougères, et les cayolars des bergers apparaissent entre les creux rocheux. Les hêtres et les chênes laissent leur place aux bosquets de genêts.

Le troupeau ayant été repéré et canalisé, j'aide à diriger les bêtes pour les séparer et les mener au centre pour être scrutées et soignées. Une fois libérées, toutes partent au galop, les jeunes ayant vite rejoint leur mère après cette première aventure pour eux. Rien de tel qu'une bonne fatigue physi-que pour recharger l'intellect.

Noël

Deux jours avant Noël, pendant les vacances, nous nous démultiplions au magasin de ma mère "Faline jouets" installé à Bayonne dans le quartier Saint-André, rue Jacques Lafitte. Une opportunité ulté-rieure permettra son déplacement dans le quartier animé des halles, rue Poissonnerie. Juste à côté de Chai Ramina, institution renommée pour son ambiance lors des retransmissions de matchs de rugby et pendant les fêtes de Bayonne.

Mon frère, lui, y est régulièrement tandis que mon père fait un crochet en sortant du magasin Les Dames de France, où il travaille, pour nous apporter des encouragements sous forme de cafés, boissons et gâteaux. Souvent, le soir avec mon frère, nous testons les jeux de société. Cela me permet d'en connaître
les règles et les difficultés afin de conseiller les familles.
Les 24 décembre sont fébriles avec des clients effervescents, des jeunes et des moins jeunes passionnés par l'immense maquette ferroviaire,
des amateurs de jeux de rôles en quête de cartes introuvables ailleurs. Notre réveillon familial commence aux alentours de vingt-trois heures.

Le service militaire

Je résilie mon sursis un peu avant la fin des examens afin d'être sûr d'être incorporé le plus rapidement possible, déjà que je vais perdre une année pour entrer dans la vie active par rapport aux gars qui seront exemptés (et aux filles).
Je suis de la classe 08/1976 (et j'obtiens la maîtrise en sciences de gestion après mon oral de septembre). Mon livre relate les conditions dans lesquelles l'oral d'histoire économique s'est passé avec un professeur suffisant, irascible et injuste.

1er août : arrivée au camp Astra, siège de l'Ecole des Troupes Aéroportée de Pau (ETAP). Même si je suis breveté prémilitaire, mon parcours est identique à celui de mes collègues - sauf que j'ai déjà quatre sauts à mon actif.

Nous sommes une poignée de sursitaires étudiants et les relations avec le sergent de compagnie ne seront pas faciles. D'autant qu'il nous rend responsables des événements de mai 68 et d'avoir bien participé à la chienlit. On me remet l'insigne de l'unité et le béret rouge frappé de l'insigne des paras.









Pendant les deux mois de classes, nous sommes initiés à la marche TAP (course en temps limité en tenue de combat et sac chargé), au maniement d'arme, aux parachutages, aux manœuvres. Cette fois, les sauts se font du Transall C-160. Sa capacité de transport est de 87 parachutistes.


source : Chemin de mémoire des parachutistes

L'insonorisation est meilleure que dans le Noratlas grâce au capiton qui couvre la carlingue. La vitesse est plus élevée et le rythme de largage  par les deux portes latérales fait qu'un homme sort toutes les secondes, ce qui représente un écart de 25 mètres à l'ouverture (contre 50 m pour le Noratlas). Le risque de télescopage est plus fréquent. 










J'obtiens le brevet parachutiste à la suite du saut de campagne sur les hauteurs de Lacommande (Pyré-nées- Atlantiques). La journée du 2 septembre 1976 est particulièrement grise et pluvieuse. Dommage car le panorama des Pyrénées, même vu de façon fugace le temps de la chute, est superbe.  Après une nuit de crapahutage, nous atteignons le village de Laroin. Débarbouillage et rasage à l'eau glacée de la fontaine, cirage des Rangers et perception du treillis neuf pour recevoir le brevet. 
         













Le colonel, commandant de la Base, est présent avec ses officiers supérieurs. Il m'épingle le brevet parachutiste n° 389617 à droite
sur la poitrine.




                                                       

Une fois la période des classes terminée, je suis affecté à l'état-major avec double emploi : estafette
et conducteur machine offset. J'ai l'occasion de passer le permis moto de plus de 750 cm3. Pour les tournées de courrier, on m'attribuera une 600 cm3 Honda toute neuve alors que l'instruction s'est faite
sur une vielle Peugeot avec levier de vitesse fixé sur le réservoir. Pour l'imprimerie, la machine est une Heidelberg de toute dernière génération.  
L'adjudant-chef du Service est aussi le patron des chuteurs opérationnels. Il me permettra de compléter les avions lors des exercices de saut, ce qui m'amènera à sauter avec des soldats de la Légion, du 1er Rpima de Bayonne, avec les commandos marine.





En tenue de sortie : pendant les permissions, et pour la durée des classes, nous devons porter l'uniforme de sortie. Le repassage réglementaire de la chemise est un véritable exercice de style. Je
passe soldat de 1re classe. Ce n'est pas un grade mais une distinction. La seule autre distinction est celle de... maréchal de France.




Le réveil en plein milieu de la nuit est brutal : saut de manœuvre. Habillement et perception de l'équipement au trot accéléré. Je vais
sauter avec la mitrailleuse AA-52 (poids avec bi-pied : 11 kilos,
dimension : 1 m 08). L'arme, fixée à la jambe, dépasse de sa gaine
avec le filin que je libérerai une fois le parachute ouvert et au dernier moment. Il ne s'agit pas que ce largage constitue un danger pour les copains qui sautent avec moi, soit en s'emmêlant dans les drisses en vol, soit carrément en leur tombant sur la tête une fois au sol.

La pluie tombe à verse, les rafales de vent balaient des paquets d'eau. Dans le barda, le poncho-tente, le sac de couchage et des rations pour trois jours de campagne.



Tentative de maîtrise de la voilure à l'atterrissage
crédit photo : Jean Le Francilien








Pause du commando en manœuvre 
avec mes amis Michel (à gauche) et Christian (devant).



Pour fêter le Père Cent, nous allons dans un piano-bar en ville. Les potes nous tannent, à Michel et à moi, pour que nous leur jouions un morceau.




Je quitte l'ETAP le 29 juillet. Ayant fait quelques démarches pendant le service pour trouver un emploi, je vais successivement m'installer à Paris, puis à Pau et être appelé à effectuer des séjours à l'étranger.

retour à l'épisode précédent : épisode 8  les années préalables

à suivre, épisode 10 :  le cycle des possibles - France



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Commentaires

  1. Quelle aventure...et de bons souvenirs !!
    je m'en souviens comme si c'était hier !
    je reprendrai ces vers que mon père m'avait dit un jour....
    -"Quand la neige tombera noire
    Quand les corbeaux voleront blancs
    Alors s'éffaceront de ma mémoire
    Les souvenirs du régiment".

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  2. Même si l’on pouvait gloser sur la durée de ce service national, il avait le mérite de brasser les populations pendant 12 mois, en étant le parfait instrument d’intégration et de diversité.

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