épisode 19 : le séjour au Zimbabwe


Depuis Luanda, nous programmons un voyage de huit jours au Zimbabwe. Nous embarquons le 9 mai 1997 dans l'avion de la compagnie nationale angolaise TAAG à destination de Harare.

Levés depuis 5 heures du matin, et après un vol de 4 heures dans une cabine surchauffée et chargée des arômes naturels africains, nous passons la nuit à l'hôtel Jameson puis direction le Victoria Safari lodge, base de notre périple, afin de visiter le Parc national
de Hwanghe et les chutes Victoria. Après les habituelles tracasse-ries de Luanda, nous recevons un accueil d'une exquise et rare politesse de la part des douanières de service. 
Nous effectuons ce voyage en compagnie du couple d'amis Laurence et Philippe - oui, deux Philippe baroudeurs parfaitement organisés, fiables et... modestes.




"Victoria falls" et le Zambèze









1: statue de Livingstone - 2, 3, 4, 5 : cataracte du Diable - 7, 8 : cataracte de l'Ile - 9, 10 : chutes principales - 12 : île de Livingstone - 13 : chutes du Fer à cheval - 14 : chutes Arc-en-ciel - 15 : site du Danger et cataracte orientale - 16 : site du Pont - 17 : lame de Couteau (accessible par la Zambie).

En cette saison, le lever du soleil provoque la formation de nuages brumeux qui, mêlés aux intenses vapeurs d'eau dégagées par les chutes, installent une atmosphère humide et pénétrante. Nous nous engageons sur le chemin pédestre balisé qui mène au site. L'intensification du grondement nous alerte sur l'approche progressive des chutes nommées par les natifs Mosi-oa-Tunya, soit La fumée qui tonne.

Elles sont deux fois plus hautes et plus larges que celles du Niagara. Depuis sa source, située à 1 000 km, le Zambèze est alimenté par une multitude de rivières. C'est à cet endroit que casse le cours du fleuve. Il marque également la frontière entre le Zimbabwe et la Zambie. Les cataractes qui composent cette barrière s'étalent sur 1 708 m. C'est en avril et mai que le débit est au maximum : 500 000 mètres-                                                                                     cubes d'eau par minute.


S'y mêlent les alluvions brunâtres arrachées aux rives en amont et brassées par les flots frénétiques. L'intensité vacarmeuse du grondement rend inaudible toute conversation. La dispersion des particules
d'eau et l'évaporation concomitante du sol nous trempent de fines gouttelettes. Les loueurs de K-way
et de larges parapluies sont la providence des personnes insuffisamment équipées. 


Le lendemain 11 mai, tôt le matin, nous menons les filles vers une destination surprise : un embarcadère sur la rive du Zambèze où nous attendent un petit bateau et son pilote pour une balade sur le fleuve en amont des chutes. Nous prenons place à bord sous un canopy qui abrite, outre deux banquettes, une table dressée avec une collation typiquement british. Nous y ferons honneur tout le long du trajet pendant lequel nous croiserons une famille d'hippopotames, quelques crocodiles, des échassiers. Le pilote, qui connaît les lieux préférés des hippopotames, nous désigne d'abord deux paires d'oreilles puis, dans un remous voisin, deux autres paires d'oreilles plus petites. C'est également lui qui distingue des formes immobiles en vrac sur les berges : des crocodiles en état de veille végétative mais néanmoins vigilants.
Afin de respecter la quiétude des animaux, nous dérivons moteur à l'arrêt. Le silence fait place au bruit sourd et rappro-ché des chutes lorsque nous atteignons des poteaux peints fichés dans l'eau qui matéria-lisent la frontière avec la Zambie. Grâce à une manœuvre qu'il maîtrise à la perfection, le pilote positionne la proue vers la rive, relance le moteur en inversant le régime, enclenche le moteur auxiliaire qui maintient puis propulse le bateau à contre courant, dans un bouillonnement chahutant. Sous cette poussée, l'embarcation reprend son mouvement vers l'avant. Nous voyons s'éloigner les immenses colonnes de vapeur d'eau qui surplombent les chutes.













Nous faisons nos valises le soir même pour rallier l'aéroport d'où un avion de tourisme nous transporte pour rejoindre le parc naturel de Hwange.

Le parc de Hwange

Le Malindi station lodge est implanté dans la province du nord, entre la forêt de Sikumi et le site de Makwa Pan. Le parc s'étend sur presque 15 000 km2. Ici, éléphants, lions, buffles sont préservés malgré les tenaces chasses des braconniers qui sont commanditées par des trafiquants d'ivoire et d'animaux sauvages. 
Nous prenons place dans le Land-cruiser de notre guide. En traversant le bush, nous apercevons des kudus, gazelles hautes de garrot et munies de grandes oreilles. 


Il 
nous dépose devant notre logement : un wagon
en bois - stabilisé sur ses rails - issu des luxueux trains à vapeur qui assuraient les liaisons ferro-viaires du temps des Britanniques dans les années trente.

Nous disposons d'un petit salon avec son canapé Chesterfield, d'une baignoire à pattes de lion munie d'une robinetterie en cuivre, d'un lit deux places juste dimensionné. Nous sommes épatés par ce côté suranné d'Orient-express africain. Le lodge est situé en surplomb d'un point d'eau où les animaux viennent s'abreuver lorsque le jour décline et que le silence envahit la zone. Il est construit en bois et couvert d'un toit de paille percé d'aérations naturelles.
Ici, pas de climatiseurs mais des ventilateurs dont les battements rotatifs répandent un bourdonne-ment régulier et un air sain.
La salle principale est bâtie en rotonde et offre une vue panoramique sur le bush. Elle est meublée et décorée tout à fait comme on l'imagine d'après ce que l'on a pu lire dans les livres sur les safaris en Afrique : une longue table  rectangulaire et ses lourdes chaises en bois munies d'un assise capi-tonnée, des miroirs en vis-à-vis de la terrasse qui reflètent la lumière changeante de la journée, de profonds fauteuils en rotin recouverts de coussins bayadère. Nous y prenons les solides petits-déjeuners et les dîners concoctés par l'épouse du guide.
Nous partagerons d'ailleurs deux journées avec un photographe américain indépendant qui effectue un reportage pour le magazine National Geographic.

Les départs pour la brousse se font très tôt avec le lever à 5 heures 30 : réveil par un matin froid de saison.
Le ciel noir est d'une pureté incroyable, c'est une véritable voûte d'étoiles qui nous domine. Bien couverts, nous prenons place sur la plateforme rehaussée du Land-cruiser équipé des grilles et arceaux de protection. Assez rapidement, le jour se lève sans pour autant que le soleil réchauffe l'air. Notre guide est un ancien garde et il connaît parfaitement le domaine. Il conserve toujours son fusil à portée de mains, soit pour effrayer par un coup de semonce un animal trop entreprenant, soit en cas de mauvaise rencontre avec des braconniers (il nous raconte en avoir fait mettre autrefois quelques-uns derrière les barreaux).


Le petit matin est propice pour observer les animaux : la faune s'éveille et vaque à ses activités. Le guide nous fait remarquer le passage d'une famille-éléphants : traces récentes de frottement contre un pin-parasol à différentes hauteurs, déjections fraîches de graines non digérées. L'élé-phant a un rôle important dans la fertilisation des sols et la germination des végétaux. Grâce au degré de maturation, le guide est capable de dater les passages bien antérieurs.

Sa peau n'étant pas munie de glande sudoripare, ni de glande sébacée et ses nombreux plis abritant des parasites, l'élé-phant est obligé de prendre des bains de boue et de poussière qui l'aident à se rafraîchir et à se débarrasser (provisoirement) des nuisibles. Lorsqu'il pratique ses ablutions, l'éléphant n'apprécie pas d'être dérangé et, surtout, le troupeau surveille les petits qui s'ébattent en formant un cercle protecteur.



Les girafes se nourrissent de feuilles d'acacias, très nutritives et pourvoyeuses d'eau, qu'elles trouvent à bonne hauteur. Nous repérons un groupe de trois individus qui constituent le nombre le plus répandu dans les déplacements. Deux des girafes ont détecté ma présence et restent sur le qui-vive. Juste le temps d'armer l'appareil-photo et elles s'enfoncent dans le bosquet de leur mouve-ment ample et détaché.
Le guide nous indique que l'autre groupe ne doit pas être distant de plus de 200 mètres. C'est la distance maximale "autorisée" pour garantir la vigilance.










Alors que nous roulons sur la piste, nous apercevons un parti de babouins qui se déplacent dans les hautes herbes. Les petits voyagent à dos de femelle tout en mangeant tranquillement. Puis nous croisons des zèbres qui nous tournent le dos ostensiblement. Mais l'approche la plus difficile et dangereuse reste celle des buffles. Bien sûr, il faut se mettre face au vent pour qu'ils ne repèrent pas l'odeur de l'humain perceptible à plusieurs kilo-mètres et disposer d'une acuité visuelle intense pour distinguer le pique-bœuf qui s'agite sur la masse immobile camouflée par les hautes herbes. L'oiseau est son allié objectif, qui le débarrasse des parasites et l'alarme en cas de mouvement suspect dans la brousse. Même pour une approche inoubliable, nous ne nous enduirons pas de bouse animale.
Après un long moment d'observation sans un mot
et sans bouger, le guide désigne à une centaine de mètres un buffle noir raidi dans une attitude d'alerte. Je sens mes compagnons un peu tendus : il leur semble que le clic de l'appareil-photo va franchir la distance. Le guide forme le chiffre cinq avec sa main gauche. Jolayne balaie l'horizon avec ses jumelles : effectivement, il y a un troupeau complètement dissimulé derrière les champs de pennisetums et les arbustes. 
Sur le chemin du retour, et alors que les animaux se sont donné le mot pour disparaître de notre champ de vision (enfin, surtout celui du guide), nous dérangeons brutalement une hyène et son petit couchés dans les herbes. Elle se redresse en retroussant méchamment ses babines, tendue et agressive. Sur les conseils gestuels du guide, qui a stoppé le 4x4, je porte très lentement l'appareil-photo à hauteur de vision, règle l'objectif à deux doigts légers tandis que mes acolytes ne mouftent pas.

Le lac Kariba

Mardi 13 mai, 15 heures : nous survolons le lac Kariba. Ce lac artificiel de 60 000 km2 résulte de la construction, de 1955 à 1959, d'un barrage en aval des chutes Victoria, sur la partie la plus étroite du Zambèze.

Pour inonder cette vallée, il a fallu déplacer la peuplade Tsonga, qui vivait là, ainsi que tous les animaux : ce fut l'opération Noé. Oeuvre d'un ingénieur français, ses eaux abritent des variétés florissantes de poissons, notamment les kapentas semblables à des sardines et dont nous aperce-vons les treillis de séchage à perte de vue. Au premier plan sur la photo figure le dieu Nyami-nyami, divinité du fleuve au corps de serpent et à tête de poisson. Puis nous prenons le bateau pour traverser le lac en direction de Spurwing island, notre lieu de villégiature.


Nos cases nous attendent, petites constructions avec terrasse, abritées au cœur d'arbres et de végétaux et entourées d'une fine clôture car certains animaux y vivent comme nous. Depuis la terrasse où nous prenons notre petit-déjeuner, nous avons vue sur le lac. Bien entendu, le camp se trouve du côté de la réserve où il n'y a pas les troupeaux de prédateurs, ni les crocodiles. A quelques mètres du bungalow, une famille de gazelles kobu broute sereinement les graminées d'un bosquet de mopanes.
La journée a été bien remplie et nous décidons de buller sous l'auvent. J'en profite pour examiner méticuleusement le lourd hippopotame en bois que j'ai acheté au village près des chutes et que - sur l'insistance de Jolayne qui dit qu'un animal même figuré doit porter un nom - j'ai baptisé Malindi.


Mercredi 14 mai, embarquement pour une visite maritime du lac et de ses berges. Lac et ciel con-fondent leurs coloris, nous glissons sur une surface lisse d'où émergent les plus hautes branches des arbres engloutis. C'est le domaine
de la faune qui a repris possession de son aire devenue aquatique : hippopotames, crocodiles, échassiers, grues couronnées, aigles pêcheurs, hérons goliath, varans.
Le soleil finit par prendre le dessus et l'air semble plus limpide, les contours et reliefs s'affermissent, nous percevons les mouvements amples, saccadés, furtifs, trépidants selon les espèces.

De même, les froissements, les frôlements, les piétinements, les battements compo-sent une symphonie de bruits qui se superposent, se succèdent, s'interrompent l'espace d'une à deux minutes dans des alertes tendues puis reprennent.

Nous restons aux aguets, attentifs à cet environne-ment qu'un clapot plus dense, un grondement plus appuyé, un craquement plus sec peut soudaine-ment transformer en terrain de lutte brève et violente






Nous revenons au bungalow vers midi trente, après trois heures de bateau, pour goûter les spécialités
de brousse - enfin les deux Philippe seulement, nos femmes préférant s'en tenir à la cuisine anglaise revisitée (!). Puis correspondance à la famille et légère sieste.


Une fois la grosse chaleur passée, notre guide nous emmène en Land-Rover sur la piste des éléphants et des lions. Ici, nous explique-t-il, le sol est très riche en calcium, magnésium et phosphore. Les éléphants, qui se nourrissent des plantes, prospèrent en taille et présentent de très longues défenses. La piste est extrêmement cahoteuse, nous nous agrippons aux ridelles. Au détour d'un bosquet, nous tombons nez à nez avec un énorme pachyderme à qui notre intrusion ne fait visible-ment pas plaisir.





Il nous fait face en battant des oreilles. Puis s'avance en balançant sa trompe qu'il abat d'un coup sur le capot. La voiture est ébranlée et nous avec. Pâleur et sueur nous saisissent. Nous enten-dons des craquements dans le bosquet : en fait, il était en train de protéger la traversée de son clan lorsque notre brusque arrivée l'a dérangé.




Les gorges de Sanyati

La rivière Sanyati prend sa source au sud-est du parc Matusadona et se jette dans le Zambèze. Elle coule dans une faille des reliefs de la chaîne de montagne Matusadona . C'est dans un petit hors-bord que nous visitons les gorges, étroit défilé accidenté ponctué de cascades. C'est du haut de ses falaises de schiste que les chasseurs indigènes qui traquaient les buffles les faisaient se précipiter dans le vide.

















Outre la beauté du site, l'intérêt consiste à se rapprocher des berges pour côtoyer 
les crocodiles qui y vivent en nombreuses colonies. Visiblement, nous en dérangeons un beau spécimen qui est en train de 
se chauffer au soleil et qui se dit qu'il est peut-être l'heure d'un copieux casse-croûte. Nous le laissons rapidement (et prudemment) à ses illusions.
Les frondaisons bruissent de l'agitation des singes capucins qui nous observent à travers les feuillages denses des acacias et des julbernardia. 

Ce jeudi 15 mai après le thé - dont le service est toujours assuré de manière traditionnelle avec ses variétés de petits sandwichs - nous prenons la piste pour aller à la rencontre des lions. Dans le 4x4 découvert, nous nous laissons griser par la douceur vespérale. Le guide nous amène droit sur un
groupe formé d'un mâle et de deux femelles.

Le lion est installé en travers de la piste dans une attitude à la fois sereine et dominatrice. Les lionnes sont couchées à côté, un peu en retrait. Nous sommes arrêtés à un mètre des animaux dans un silence total.  


 La lumière décline rapidement et nous contraint à mettre un terme à cette rencontre. Les dernières lueurs rouges dispa-raissent, la pénombre installe le froid, chaque excavation de la piste nous fait sauter sur la banquette.
Dernière nuit sous la moustiquaire et la navette fluviale nous ramène à la ville de Kariba, destination Harare puis Luanda. Pendant une semaine, nous avons oublié la civilisation. Nous reprenons durement pied dans la réalité dès l'atterrissage à Luanda.

retour à l'épisode précédent :  épisode 18 : Angola - l'ambiance basque

à suivre - Afrique du Sud : la province du Cap 



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