Algérie-Sahara : les lettres retrouvées [3]


De janvier 1956 à juin 1958, nous verrons des personnalités se succéder en visites officielles au Sahara. Cette période est cruciale pour la France.

Les Etats-Unis et l'URSS contrent systématiquement la France avec des visées, pour les communistes de suppléer notre pays au Maghreb, pour les Améri-cains, sous couvert du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, d'éviter que l'escalade de la guerre ne finisse justement par jeter l'Algérie dans les bras de l'URSS. En métropole, la situation oppose les tenants de la négociation à n'importe quel prix à ceux de la guerre à outrance.



Les visiteurs

Jacques Soustelle, gouverneur général de l'Algérie, peine à imposer sa vision de l'intégration des Algériens sous le second gouvernement Edgar Faure. De sa visite à Ouargla, j'ai retrouvé deux clichés représentatifs pris par mon grand-père.




J. Soustelle est accueilli par le maire M. Herbelin et le notable de la tribu ouargli Ali Ben Seddik.






Ci-dessous, le gouverneur militaire salue les méharistes entouré, de g. à d. du capitaine Fournier, du colonel d'Arcimoles, commandant militaire du Territoire des Oasis, et du général Jacquard, s/chef d'Etat-Major de l'armée de l'Air.



Lorsqu'il doit quitter Alger, il est accompagné jusqu'au quai du port par une foule qui l'ovationne.
Son action de pacification des populations arabo-berbères des Aurès a été concrétisée par la mise en place des  sections administratives spécialisées - assistance médicale, alphabétisation, état-civil - sous la responsabilité d'officiers de formation d'études supérieure et la suppléance des moghzanis. Le taux de scolarisation des garçons
et filles passera, de 1951 à 1960, de 20 % à 50 %. Des infirmières locales sont formées pour intervenir dans les dispensaires. Le FLN recourut aux menaces et aux exactions violentes pour saboter cette initiative qui apportait une nette amélioration des conditions de vie aux populations et surtout établissait la reconnaissance de la femme musul-mane. Et donc détournait le peuple à la fois de la
résistance et du devoir religieux envers la soumission des femmes.

Dans un registre moins martial, Pépé raconte la mésaventure survenue à M. Guy Petit, venu en tant que président d'une commission d'inspection au mois de mars 1957 : "Je sors de l'hôpital militaire où je suis allé rendre visite à Guy Petit, sénateur-maire de Biarritz...



...Transporté immédiatement à l'hôpital militaire, l'ablation de son doigt a été jugée nécessaire".




Il termine sa lettre en demandant que l'on veuille bien, à Bayonne, faire développer la pellicule Kodak color chez "Etienne [qui] fait de la réclame sur le Républicain du Sud-Ouest pour ce genre de travail", dont la photo prise par mon père lors d'une sortie dans le désert en Aronde avec le lieutenant Royer et son épouse (à droite, ma mère ; devant accroupi : moi).


C'est ensuite Max Lejeune, Secrétaire d'Etat aux forces armées (et futur ministre du Sahara sous les gouvernements Bourgès-Maunoury, Félix Gaillard et De Gaulle) qui vient saluer les citoyens de Ouargla.
Il reçoit les honneurs du général de division Quenard, commandant des Territoires du sud (dont relève
la majeure partie des territoires compris dans l'Organisation commune des régions sahariennes - OCRS), devant le capitaine Duhil de Bénazé (extrême gauche) et le colonel d'Arcimoles.






Le général De Gaulle au Sahara

La visite privée du général De Gaulle est décrite et abondamment illustrée dans l'épisode 3. Je fais figurer ici les extraits de la lettre du 18 mars 1957 écrite par mon grand-père. C'est du direct.
"Rassemblement sur la grande place devant la poste et dans toute son étendue de presque toutes les troupes et engins motorisés dans un alignement tiré au cordeau".



"L'avion du général atterrit vers 16 h 45, et l'arrivée de celui-ci sur la place est prévue pour 17 heures. Depuis 16 h 30, les troupes sont en place. La population indigène s'achemine lentement vers l'empla-cement qui lui est réservé, devant les bâtiments militaires pavoisés. Les caïds à cheval, les supplétifs armés de bâtons, les divers services de l'armée assurent l'ordre. Les reporters munis de leurs caméra
et magnétophone portatifs vont d'un bord et de l'autre circulant sans aucune contrainte à l'intérieur de l'enceinte formée par 
les troupes et les barrages de police. Je me décide à faire comme eux et je me trouve très bien placé pour prendre le général en 1er plan". 
"Les professionnels de l'information, ils étaient 24 suivant de Gaulle comme son ombre, au milieu de qui j'avais pu me faufiler sans aucune difficulté. Un seul reporter sur les 24 officiels est muni de flashes. Il s'en donne à cœur joie, les autres aussi mais avec moins de satisfaction".

"Le général passe les troupes en revue puis au retour serre les mains à la masse grouillante des indigènes retenus non sans peine par le service d'ordre derrière une légère barrière de fils de fer.
Je m'approche jusqu'à toucher la jeep sur laquelle il est monté d'où il prononcera qq mots de bienvenue enregistrés par les magnétophones dont les micros sont tendus à bout de bras vers lui. Après l'avoir entendu, j'aurai qq instants plus tard la primeur de l'enregistrement effectué par radio Luxembourg que son représentant gracieusement me fit écouter.



Après la courte allocution, le cortège retraverse la place et se dirige vers le Territoire. Ninou et No à la fin de la revue et avant le cortège s'en étaient allés dans cette direction, aussi ont-ils pu avoir la surprise d'un salut tout personnel de la part du général descendant de la jeep juste devant eux".





Quant à moi, j'étais parmi les élèves des écoles rangés (et agités) devant le bordj. Pour l'occasion, garçons et filles étaient réunis et mélangés. 




Une nouvelle... surprenante

Alors que Pépé ne tarit pas (c'est le cas de le dire) sur la production du champ pétrolier d'Hassi-Messaoud qui constitue un avenir pour les jeunes gens de la métropole - à condition qu'ils veuillent se sortir du giron régional -, voilà que mon parrain le colonel nous fait part d'une nouvelle pour le moins surprenante.



Nous avons reçu une longue lettre du colonel nous annonçant le début des sondages effectués dans une de ses propriétés dans les Landes. L'un d'eux, situé à 300 m environ de la maison de maître, semble être pris au sérieux". 

Et mon grand-père d'épiloguer sur le possible approvisionnement in situ, dans le sous-sol familial. Mais nous ne sommes pas aux Etats-Unis et toute ressource minière appartient de facto à l'Etat.



"Pour nous 2, le petit et moi, 
il [le retour] est prévu
entre le 1er et le 5 mai dans les mêmes conditions que l'année passée. Pour les Ninous [No, mon père, et Ninou, ma mère], entre le 8 et le 10 juin, leur arrivée à Bayonne aura certainement lieu le 10 par
la route, la 403 devant leur être livrée à Marseille".
Alors, pour le remplissage du réservoir de la toute neuve Peugeot 403, nous irons à la pompe...
L'immatriculation "94" est celle des Territoire du Sud. C'est sur cette voiture que j'appendrai à nettoyer les pneus à flancs-blancs avec une sorte de boule à gratter imprégnée de produit bleu qui moussait lorsque je frottais.

Bien avant que mon parrain ne m'offre systématiquement les prix littéraires annuels, j'adorais lire, en voici pour preuve cet extrait :


"Les livres ont été une raison de plus pour Philou d'exprimer à peine voix ses sentiments pour tatie P. et tonton P. Ils viennent à point pour remplacer ceux qui très malmenés dorment dans un coin de la chambre alternativement pris et repris..."



J'ai une préférence pour les livres de la Comtesse de Ségur, surtout ces deux-là.







En bandes dessinées, je me régale à lire les aventures de Tintin. Dans l'album Le Crabe aux pinces d'or, je suis très attentif 
à la colonne de méharistes qui vient le secourir alors qu'il erre dans le désert saharien
en compagnie du capitaine Haddock. Je constate que les Châamba de l'illustration n'ont pas la même tenue que celle des soldats du peloton que commande mon père. Il semble que Hergé ait mélangé les accoutrements des Châamba et des Touareg.







Un peu plus tard, je me  passionnerai pour L'Escadron blanc, de Joseph Peyré, et L'Atlantide, de Pierre Benoît.


retour à l'épisode précédent :  les lettres retrouvées [2]

à suivre : les lettres retrouvées [4]





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