épisode 17 : Angola - la vie s'organise

Les dimanches, nous prenons la route qui mène à Corimba. C'est là que se trouve le club nauti-que d'où nous partons pour rejoindre la pres-qu'île de Mussulo située à trente minutes de bateau au sud de Luanda. La barque immergée rappelle aux marins amateurs qu'il s'agit de respecter le chemin de navigation. Pour rejoindre ce point d'embarquement, nous roulons sur une voie étroite sans bas-côtés où le croisement des véhicules s'avère difficile par temps pluvieux.
Musseque (quartier rouge): dénomination issue de la couleur de la terre qui sert à bâtir les maisons.














Il n'est pas rare que la violence du déferlement des eaux de pluie entraîne les maisons accrochées à flanc de colline vers la route. Cette glissade de terre rouge et de taudis obstrue la chaussée et rend le passage souvent délicat à travers ce qui fut une cuisine ou une chambre à coucher. Repérables par leur très bon état et leur collection de vignettes, les véhicules des blancs et des étrangers sont la cible récurrente des contrôles policiers. Il nous arrive d'être arrêtés tous les deux cents mètres, les fonctionnaires ayant bien vu que leurs collèges nous avaient déjà contrôlés au barrage précédent. Le bakchich est monnaie courante (!).

De Corimba à Mussulo

Corimba
Les bateaux sont rangés sur des remorques que les marineros mettent à l'eau en passant les premiers rouleaux qui cassent sur la berge. Il faut être attentif au moment où la vague soulève la proue pour enclencher la vitesse et s'élancer. Nous laissons la marina derrière nous en empruntant le chenal balisé jusqu'à la sortie de la baie. 
De 1976 à 1989, la presqu'île de Mussulo a été occupée par les troupes cubaines, Fidel Castro apportant un appui militaire et logistique au MPLA (Mouvement populaire de Libération de l'Angola) dirigé par Eduardo Dos Santos, successeur autoproclamé du président Agostinho Neto décédé en 1979.
Nous effectuons la traversée à bord du Iemanja, du nom de la divinité africaine dont le culte païen a été introduit au Brésil.
Nous arborons le pavillon angolais couplé au drapeau basque. Lorsque, au cours d'un contrôle, la police maritime m'a interpellé sur l'interdiction de déployer un pavillon autre que celui de l'Angola, j'avais répondu en portugais : "Capitaine, j'ai le respect de la nation qui m'accueille et la nostalgie (saudade) de ma patrie". Je n'ai plus jamais eu d'arraisonnement. Moteur relevé, j'accoste en surfant sur la plage, face à la case construite par mon ami Noël, dont je reprendrai la concession à son départ. Une fois les glacières et affaires de plage débarquées, je pars jeter l'ancre à distance calculée en fonction de la marée. Marée basse, la coque est sur le sable ; marée haute, l'ancre est positionnée à une quinzaine de mètres du rivage.

Après qu'un incendie a détruit la précédente case, y compris table et bancs (une bizarre affaire de barbecue nocturne mal maîtrisé par des pêcheurs), Noël a décidé de reconstruire en dur. D'abord, les poteaux de soutènement : du tubing déclassifié enfoncé dans des plots de béton ; ensuite, réquisition et découpage du bois de nos caisses de déménagement pour façonner les gabarits de la table rectangulaire et des bancs en béton, ces derniers formant un périmètre solidaire - le tout arrimé sur des tubes également enfoncés dans des plots bétonnés. Le pylône central qui soutient les arbalétriers en fer traverse la table en son centre. Du costaud.


Le lieu est un refuge calme et reposant qui compense l'énervement et l'agitation dangereuse de Luanda : cocotiers en courbes élancées dont le feuillage s'étale en couronne dans le ciel ; rivage sablonneux où les vagues viennent mourir en chuintement serein ; pêche aux capitaines, baracudas, rouges.

De temps en temps, des adeptes du ski nautique et du jet-ski dérangent cette quiétude. Pour notre part, les occupa-tions tiennent dans l'exploration de la baie en catamaran dont la base se situe côté cases des foreurs - parmi lesquels un Ecossais lestait son voilier d'une solide caisse de bières dont la consommation régulière finissait par mettre aux prises notre foreur avec une dérive aussi aléatoire que prévisible. Grâce aux liaisons par talkie-walkie, il était alors secouru par un des bateaux de la colonie et ramené à terre, rougi par l'effort et un reliquat opportun de whisky.


Pour rallier l'océan Atlantique, nous devons traverser une zone d'abord sablonneuse puis
qui se couvre au fur et à mesure de végétation rampante de panicauts et de liserons charnus, d'îlots de palmiers et, de loin en loin, de baobabs.
Avec Jolayne, nous y allons vers 11 heures pour vingt-cinq minutes de parcours sous la chaleur montante qui atteindra son  maximum vers midi. Une couche de crème solaire, les chapeaux et lunettes de soleil plus le paréo sur les épaules pour ma femme sont indispensables tant les rayons et la réverbération sont intenses. Nous laissons la mangrove sur notre gauche et nous dirigeons cap à l'ouest.



L'océan se mérite. Les vagues sont dignes de notre Côte basque, avec cependant la persistance de forts courants très dangereux à marée descendante. Où que nous regardons, nous sommes les seuls sur cette
plage immense hors les pêcheurs qui ont immergé leurs filets à une centaine de mètres du rivage et qui maintiennent habilement leur lourde barque ballottée par les courants.



Pendant que je me baigne, Jolayne ramasse des coquilles d'escargots marins, des cônes, des porcelaines et des scutel-linas, communément appelés "dollars des sables". De retour à la case, elle les nettoie soigneu-sement, opération qu'elle renouvelle à Luanda munie d'une brosse à dents destinée à cet usage et d'une solution savonneuse. Nous compléterons ces spécimens lorsque nous séjournerons au Gabon quelques années plus tard.

Occupations à Luanda

Afin de se rendre utile, ma femme organise ses semaines autour du bénévolat en faveur des enfants orphelins ou en rupture de famille à cause de la guerre : orphelinat de la congrégation des sœurs dominicaines, association Mulemba, association Amizade.  


L'épouse de l'ambassadeur de Suisse reçoit toutes ces dames pour confectionner divers objets en tissu, cousus ou tressés, destinés à être vendus lors de galas au profit de ces institutions caritatives : et de coudre, et de fabriquer des crèches, et de peindre les personnages... Même si ces activités ont leur finalité, l'esprit demande aussi sa part. Mon épouse est contactée par une femme d'expatrié à
laquelle l'ambassade de France à fait appel pour assurer le fonction-nement administratif et comptable de son cabinet dentaire à titre bénévole. Comme elle n'est pas disponible à temps plein, elle sollicite Jolayne pour exercer le mi-temps de l'après-midi. L'immeuble (à droite) se trouve dans la rue du Révérend Agostinho Pedro Neto. S'y rendre nécessite une vigilance accrue dans la circulation effrénée et dense de la capitale. Tout le temps des trajets aller-retour, mon épouse est en liaison avec la Sécurité.
En revanche, elle ne pourra rien lorsque le cabinet dentaire sera braqué en plein après-midi par un jeune individu armé, visiblement sous l'influence de la drogue. Cette assuétude au cannabis (liamba en langage local) est une des conséquences de la guerre : les pénuries et les privations de nourriture (compensation), le besoin de survivre (revenus) conduisent certains Angolais à consommer et/ou trafiquer.


Les risques sont quotidiens et on peut se trouver pris dans des échanges intempestifs de coups de feu. La mésaventure arrivée à un collègue que je suivais en voiture est illustrative. Retour du bureau pour déjeuner par la très longue rue Amilcar Cabral, intense circulation et paralysie du trafic au carrefour Maianga qui permet de continuer sur l'avenue Marien Ngouabi. Nos voitures sont immobilisées lorsqu'une détonation sèche retentit. J'ai juste le temps de voir mon collègue disparaître dans son habitacle. Une deuxième détonation me surprend alors que je rampe vers lui pour voir ce qu'il lui est arrivé. Une balle a traversé sa portière. Nous rentrerons sains et saufs, bien secoués tout de même, et un verre pris au bar d'Impala nous requinquera.

Les loisirs

Les consignes de notre Société et de l'ambassade de France sont nettes et claires, nous devons respecter le périmètre de déplacement. Par un hasard qui puise son origine dans la diplomatie et sa vitalité dans le besoin de détente des patrons de
sociétés, la limite nord de cette zone est le kilo-mètre 17 soit trois kilomètres après le golf. Par un autre curieux hasard, nos concurrents et (futurs) collègues de Total ont leur base de loisirs dans cette zone.
Nous irons de temps à autre profiter de la piscine et du club house de Total et j'y rencontrerai un res-ponsable que je retrouverai quatre années plus tard à Libreville (Gabon) après la fusion.

Samedi : une sortie exceptionnelle est organisée pour aller jusqu'à la Barrière du Kwanza - appel-lation locale pour désigner l'embouchure du fleuve située à environ 50 kilomètres au sud de Luanda. Il est jalonné de nombreux et dangereux rapides et se jette dans l'océan Atlantique.
Nous partons à six voitures escortées par les véhicules blindés de la compagnie de sécurité :
un en tête du cortège, un au milieu et un en fin.
Le parcours est jalonné de barrages militaires où nous présentons à chaque contrôle le sauf-conduit validé par la haute Autorité angolaise. Nous découvrons le musée de l'esclavage sur notre gauche, perché sur une butte et flanqué d'un majestueux baobab.


Nous longeons la côte de Palmeirinhas bordée par des euphorbes candélabres. Nous faisons halte au miradouro da
lua (belvédère de la lune) à une dizaine de kilomètres de notre destination. Se dévoile alors un paysage de falaises dont les strates sont découpées en tuyaux d'orgues. Son aridité et ses sculptures lui confèrent un aspect lunaire.
Nous atteignons la plage en amont de la barrière du Kwanza. Un léger vent marin essaye de rafraîchir l'atmosphère brûlante et sèche. Nous déployons nos larges toiles protectrices, accrochées à des pieux plantés dans le sable, et des parasols. Entendre la cassure des vagues sur le rivage nous procure une sensation illusoire de fraîcheur.


Malgré de forts courants, quelques-uns d'entre nous ne peuvent résister aux rouleaux diaboliques. Il nous faut rester extrêmement vigilants et ne pas cesser de quitter des yeux notre repère sur la plage. Moyennant quoi, nous arrivons à prendre les vagues en "body-surf"... mais sans palmes. Cet entracte salutaire nous fait (presque) oublier que nous sommes dans un pays toujours en guerre.



retour à l'épisode précédent :  épisode 16 : Angola - l'installation à Luanda

à suivre, épisode 18 : Angola - l'ambiance basque



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