épisode 24 : Gabon - Mbolo' ani !


Nous arrivons à Port-Gentil courant deuxième trimestre 2000.
Pour moi, il s'agit d'un retour puisque j'y avais séjourné 15 ans auparavant.
La ville n'a pas changé : égouts à l'air libre, carrefours s'en-fout-la-mort, eaux stagnantes refuges des moustiques, quelques carcasses de voitures dans les fossés, bâtiments juste un peu plus délabrés. Nous passons au ralenti devant le parc à bois, entre la Pointe Akosso et le vieux port.


Quelques souvenirs de parcours de course à pied reviennent. Le clapot de l'océan mouvemente les billes d'okoumé alignées sur lesquelles se dépla-cent, tout en souplesse et légèreté, les gosses qui plongent dans la rade.

La carte ci-contre regroupe le centre d'activités de la ville avec, en partant de la gauche, les installations d'Elf Gabon (concessions des logements, immeuble administratif, site des opérations avec en bout le môle d'où partent les bateaux surfeurs qui font la navette avec les plateformes en mer) ; le boulevard du gouverneur Chavanne (baptisé de manière populaire boulevard du bord de mer) qui va jusqu'au marché et au vieux port en passant devant le lycée français Victor-Hugo et l'hôtel de ville ; au-delà, il y a le carrefour des douanes et la route qui mène à la marina en contournant la scierie (CFG).
La dénomination des lieux vient souvent d'une particula-rité que l'imagination populaire exploite. Ainsi le quartier Chic pourrait laisser penser à une zone résidentielle huppée, siège de belles demeures, de représentations diplomatiques et de boutiques de luxe. En fait, l'appellation d'origine était "chique", du nom de la puce-chique qui s'introduit sous la voûte plantaire et qui provoque des lésions cutanées pouvant aller jusqu'à la perte des orteils, voire entraîner une gangrène létale. L'orthographe en a été modifiée sous le double effet de l'élision orale de la dernière syllabe et du rejet par les habitants du quartier d'une appellation méprisante.

Mbolo' ani (bonjour à tous) 

Nous sommes vite à pied d'oeuvre avec une invitation chez le directeur général en présence de quelques notabilités : consul général de France, corps constitués de la province de l'Ogooué maritime, chefs d'entreprise. Cela me permet de visualiser mes futurs interlocuteurs puisque mes fonctions vont m'amener - outre la gestion du personnel local, des expatriés et de leur famille - à assurer les relations avec l'ambassade de France et à diriger les activités sociales, sportives et culturelles de la filiale. 



Dans la foulée, je suis sollicité pour faire partie de la délégation lors de l'inauguration du Centre régional d'information sur le sida financé par la filiale. J'accompagne le médecin-chef de notre clinique et la responsable de la communication.

Un groupe d'anciens nous propose une sortie à Ozouri. C'est un village situé à environ 130 km de Port-Gentil qui est bordé par une plage de sable blanc. Le lieu est beaucoup plus connu comme étant la zone de découverte du premier gisement exploitable d'hydrocarbures en 1956 par la Société des pétroles de l'Afrique équatoriale française (Spaef), ancêtre d'Elf Gabon. Ce sera donc pour nous une sorte de pèlerinage. Le trajet alterne piste inondée et piste ensablée. Nous progressons en cortège, attentifs aux trous d'eaux et aux obstacles invisibles. Nous conservons une distance d'environ dix mètres entre chaque véhicule pour que, en cas de blocage du précédent, les suivants évitent le piège et stoppent à temps. Il s'agit ensuite de dépanner le copain. Chaque intempérie modifie le tracé de la piste et, même si l'on a déjà effectué le
trajet, les lieux mouvants perturbent la conduite.
Nous voilà donc immobilisés afin de désensabler un des 4x4. Tout le monde s'y met avec pelles, plaques métalliques de désensablement et sangle d'accrochage. Nous arrivons à dégager les moyeux des roues avant. Il s'agit de ne pas trop perdre de temps car, une fois arrivés, nous devons prendre une barque pour traverser le bras de mer jusqu'au village.

La résidence

Nous sommes logés dans la concession Namina. Elle regroupe des îlots de quatre maisons mitoyennes par l'arrière-cour et le garage. Nous bénéficions d'une implantation privilégiée : notre terrasse ouvre largement sur l'immense parc.
à gauche ci-dessus : un ravelana ou
arbre du voyageur



Haie d'ixoras rouges, cycas, ravelanas, bougain-villiers, tulipiers, frangipaniers lui donnent un charme exotique. 
Tulipier du Gabon





Cycas et autres palmiers

Frangipanier















Hormis les mois de juillet, août et septembre (saison sèche), la chaleur est accablante. La maison est climatisée et le contraste entre l'extérieur et l'intérieur est saisissant : 40° dehors et 20° à l'intérieur. Aussi, afin de "prendre l'air naturel", nous installons-nous de temps en temps sur la terrasse.

La maison est spacieuse avec une distribution simple des pièces. Les deux grandes baies vitrées font face au jardin, ainsi que la chambre parentale. Deux chambres supplémentaires sont situées derrière avec les salles d'eau respectives. Jolayne fera de l'une son atelier de dessin et de peinture : l'autre sera dédiée à un bureau. La toiture est entièrement en tôle qui fait résonner l'habitation sous les cascades d'eau à la saison des pluies.
En revanche, l'avant-toit protège de la pluie et nous pouvons rester dehors pour profiter d'une température un peu plus soutenable. C'est là que nous découvrons un énorme papillon en train de se déplier, englué dans ce qui reste de son cocon. C'est un daphnis nerii plus communément appelé sphinx du laurier-rose.

Notre chatte Ophite est très intéressée par la faune locale. Elle chasse les margouillats (ou agama agama). Ils sont véloces et leur peau peut s'avérer toxique. Les mâles sont multicolores tandis que les femelles gardent un coloris plus neutre du genre vert foncé ou marron, voire carrément noir. La femelle margouillat, dont la concession constitue son territoire, revendique
le libre droit de circulation. Mais notre chasseuse ne l'entend pas de cette oreille. Pour elle, ce n'est qu'un gros lézard avec lequel on peut jouer et qu'elle chassera sans merci.


Ophite découvre également le redoutable martin-pêcheur qui défend âprement son territoire. Il n'hésite pas à attaquer depuis son observatoire du claustra situé à une vingtaine de mètres de notre terrasse et à fondre en piqué sur Ophite étendue alan-guie sur le canapé de la terrasse, en lançant son cri strident. 
Sur ce claustra, mon épouse fera pousser des passiflores. Cette fleur, qui donne le fruit de la passion, a été associée lors de sa découverte par des missionnaires en Amérique du Sud à la Passion du Christ. Ils ont établi l'allégorie suivante : les 72 filaments sont assimilés aux 72 épines de la Sainte Couronne, les 5 étamines symbolisent les 5 plaies du Christ, les 3 pointes du pistil représentent les 3 clous de la croix, les taches rondes qui tapissent l'intérieur de la fleur évoquent les 30 deniers de la trahison de Judas.

L'accueil des nouveaux arrivants

La migration des familles a lieu fin du mois d'août pour être en phase avec la rentrée scolaire. Nous leur laissons le temps de s'installer et de prendre leurs marques avant de les convier à la fête des nouveaux arrivants. En tant que président de l'Associ-ation sociale, sportive et culturelle d'Elf Gabon (ASSCEG), et en liaison avec la direction générale, je la programme au mois de novembre ; et en tant que puissance invitante, je suis tenu de prononcer le discours de bienvenue entouré de mes collègues du comité des fêtes (extrait) :
"Nous sommes ce soir trente-trois nouvelles et nouveaux qui allons être soumis au rituel d'intronisation dans la société gabonaise. Cet acte solennel s'accomplit dans le silence du mbandja qui est la hutte sacrée. S'y recueille depuis bien avant notre arrivée le nganga, personnage qui détient le savoir inné et la sagesse des ancêtres. Nous allons y entrer un à un, une à une afin de recevoir l'initiation. Nous sortirons alors munis du viatique secret qui nous guidera".
Je suis appelé par le guide qui m'ouvre le rideau à carreaux rouges et noirs. Je pénètre dans une atmosphère légèrement enfumée dont la présence de masques grimaçants accentue la crainte des génies. Je sens deux doigts sur mon visage qui apposent de la poudre fraîche sur le front, le nez, les joues. Puis l'on me ceint la tête d'une couronne végétale tressée et ma taille du pagne en raphia. Pour terminer, le sorcier que je finis par distinguer m'enfourne d'un geste sec une boule de terre au goût de moisi. C'est de l'iboga.

En sortant, je suis accueilli par les youyous des jeunes filles qui me convient à pratiquer le ndombolo. Toute la salle claque des mains et hurle de voir le "chef blanc" se trémousser. Ma femme, qui vient juste après moi, est conduite à mes côtés. Elle épate le public gabonais par sa facilité à rendre le rythme saccadé et la gestuelle néanmoins souple de sa danse. A tel point que trois Gabonaises se ruent sur la scène pour l'entourer dans un ballet fessier étourdissant.

Ce sont les femmes du Gnawule club qui ont préparé le repas pour les quelques deux cents cinquante convives :
il est à la fois varié et conséquent. Les poissons ont été pêchés par les Togolais du Cap Lopez. La côte est riche en bossus, capitaines, mulets, daurades, mâchoirons, rouges. Les crabes de terre farcis sont excellents tandis que la chair de crocodile, qui provient de la queue, seule partie comestible, me semble plutôt fade. Le sanglier est du phacochère dont le goût est extrêmement fort. L'antilope est servie braisée accompagnée de la sauce odika (tirée de la mangue sauvage) qui a la couleur du cacao et une saveur parfumée.

Je retrouve avec plaisir la banane plantain frite et le manioc ipoti cuisiné façon Galoa. Quant au gâteau d'igname (tubercule), il est heureusement rehaussé par d'abondantes particules de noix de coco.

Je féliciterai les femmes pour cette subtile variété des plats, condiments et cuissons caractéristiques de la cuisine africaine.



En première partie de soirée, des groupes de danse évoluent sur la piste. 


A l'invitation de femmes de la société, je suis appelé pour rejoindre la piste (j'ai dû changer de chemise tellement l'atmosphère est chaude malgré l'ampleur du foyer Roger-Buttin et la climatisation).


















Désormais l'épisode agité d'une année et demie en France qui a suivi notre départ d'Angola est bien rangé sans toutefois être oublié. Ce fut la période qui a vu la mainmise de Total sur Elf avec la bénédiction revancharde du gouvernement Jospin et la complicité active des organisations syndicales. J'en raconte toutes les péripéties vécues de l'intérieur : insultes et menaces, voies de fait et graffitis haineux, compor-tement antiéconomique des élus béarnais.
"Que de déchirements pour voir enterrée notre société qui était considérée par ses pairs concurrents comme la référence dans la maîtrise des techniques pétrolières. Son esprit d'aventure a permis les fabuleuses découvertes des gisements d'Hassi-Messaoud et d'Edjeleh en Algérie, de Frigg et d'Elgin-Franklin en Mer du Nord, d'Alberta au Canada, de Grondin et de Rabi au Gabon, d'Emeraude et de Nkossa au Congo, de Girasol en Angola".

Pour connaître le fond de cette histoire politico-industrielle, se reporter aux chapitres 12, 13 & 14 du deuxième tome de la saga familiale intitulé LA MARCHE HAUTE.


retour à l'épisode précédent :  Afrique du Sud - de Plettenberg bay à Port Elisabeth

à suivre, épisode 25 : Gabon - les sites industriels



Vous pouvez accéder à la vie du livre et aux présentations en librairie, dans les salons du livre et les médiathèques ou lors de signatures privées en cliquant sur le lien ou le bandeau : 

Commentaires