épisode 31 : Nigeria - le partage des cultures


Avec une dépense d'énergie inversement propor-tionnelle à l'inertie des hiérarchies nigérianes envers les actions du plan d'intégration et des compétences, nous réussissons à mettre locale-ment en œuvre 
les formations de haut niveau pour les jeunes ingénieurs en géosciences (géologie, géophysique, réservoir). 

Je suis convié à une séance de démonstration dans
les locaux de l'école que nous avons retenue. Il s'agit de modules en 3D qui permettent d'appréhender les changements d'échelle versus les géométries complexes en tenant compte de la structure des minéraux et des failles géologiques.


Asaba

La direction a décidé de délocaliser le séminaire Encadrement à Asaba, dans l'état du Delta. Deux cents kilomètres à effectuer en bus depuis Port-Harcourt. Le trajet est ponctué de barrages de police, de traversées de villages aux cases couvertes de tôles et aux murs de parpaings bruts percés d'ouvertures béantes. Leur état stagnant indique des projets inachevés, "in progress" comme ils disent ici.


En différents points de la ville, des scènes patriotiques et allégoriques figurent les luttes et les personnages qui ont marqué l'histoire locale.



Ci-dessous le monument dédié aux frères Lander est érigé sur les rives du Niger. Ils ont abordé à Asaba au 18e siècle lors de leur expédition pour trouver l'embouchure du fleuve au niveau de l'océan Atlantique. Le site comprend un musée qui expose leur bateau et des écrits ainsi qu'un cimetière d'explorateurs, de pionniers et de missionnaires européens.
Appelé Nigris par Pline l'Ancien, la recherche de la source et de l'embouchure du fleuve Niger préoccupe les hommes depuis l'Antiquité. Le résultat de l'expédition des frères Lander conforte les hypothèses de Reichard et Clapperton : le fleuve se jette bien dans le Golfe de Guinée après de nombreuses ramifications.

Nota : ce constat est évidemment très lapidaire tant il existe de nombreuses publications et cartographies sur le sujet.





Le pont qui enjambe le fleuve Niger ressemble aux ponts de chemins de fer posés sur des piliers en maçonnerie tels qu'on les fabriquait au 19e siècle : poutrelles entrecroisées et rivetées, barres transversales sur le dessus. Celui-ci date du milieu des années soixante. Du haut de la rambarde, je vois les eaux limoneuses sur lesquelles glissent les pirogues qui traversent le cours pour rallier la ville opposée d'Onitsha.









(en bas) : à l'entrée du pont avec des collègues nigérians.



Au détour d'une rue, je découvre, un peu surpris, l'église Saint Joseph, témoignage de la pénétration de la foi chrétienne dans cette contrée plutôt hostile au catholicisme. Elle est due au travail acharné de missionnaires venus de Lyon au 19e siècle.
La légende dit qu'il y a eu un affrontement spirituel entre les religieux et la déesse de l'eau Onishe qui s'opposait à l'extraction des pierres du lit du fleuve pour construire l'église. 


"Integrated cultural nite of togetherness"

Avec l'affichage hebdomadaire par les syndicats des noms des expatriés qui doivent quitter la filiale
et les incidents intervenus sur chantier entre la hiérarchie française et les employés nigérians, le climat entre les deux communautés se détériore au cours des mois. L'ambiance dans le Village s'en ressent : l'enfermement dans le camp, les difficultés quotidiennes pour circuler dans la ville, les sorties contingen-tées par l'insécurité permanente accroissent la pression sur les familles. Il est décidé d'organiser un événement fédérateur autour de deux cultures fortes : la nigériane et la basque.


Vu le succès de la tournée du groupe Ontuak en Angola une dizaine d'années auparavant, je récidive l'expérience. En collaboration étroite avec le Public Affairs manager, je fais venir le groupe basque du
15 au 18 avril 2005.

La "Nuit d'intégration et de partage culturel" se tient au Presidential Hotel en présence de 350 convives. La tenue rouge et blanche est de rigueur, et les serveurs arborent le foulard rouge des fêtes de Bayonne. Le Public Affairs introduit la soirée  (allocution traduite en gardant les spécificités du pidgin local) : "Ce soir est un moment favori de grande émotion. Notre directeur général a espéré cet événement pour le rassemblement spectaculaire des communautés. Rehausser la communication inter-culturelle autorise cette nuit colorée à laquelle nous sommes convaincus de participer". Il présente 
les groupes de danse nigérians.





Trois groupes et deux danseurs phénomènes vont investir l'espace avec des trépidations et des contorsions rythmées par les percussions frénétiques.





Les positions, la gestuelle sont codifiées, scansions et enchaînements sont rituels et ordonnés : toute improvisation individuelle est maîtrisée et valorisée par les autres danseuses.



Les costumes racontent une cérémonie, un état d'esprit, une réjouissance. Les couleurs et les superpositions des vêtements et ornements relatent les communions avec le spirituel et le temporel.




Forces du bien et forces du mal s'affrontent en un ballet ponctué d'incantations, de défis gutturaux, de frappes sèches des pieds, d'appel aux esprits.


Les percussions dramatisent et exacerbent la tension chorégraphique. Ce type de prestation
peut durer une vingtaine de minutes sans temps
de récupération, ce qui constitue une véritable prouesse.







A notre table, le directeur artistique nigérian apprécie la performance de ses troupes... et sera très étonné lorsque nous nous lèverons pour aller exécuter à notre tour les danses basques que nous avons répétées pendant un mois à raison de deux heures par semaine
. 


Notre rassemblement de douze danseuses et danseurs provoque l'étonnement général, y compris
parmi de nombreux expatriés. En premier, c'est la Kaskarot dantza, accompagnés par les musiciens d'Ontuak, où hommes et femmes se font face en pas chassés avant-arrière, puis se croisent en effectuant un tour complet et repartent à reculons.



Puis c'est le carnaval de Lantz, du nom du village navarrais de la vallée d'Ultzama. Cette danse en cercle,
très cadencée, fait se succéder des séquences de pas avancés puis tournants droite-gauche, puis en mouvements inversés gauche-droite.



Le journal d'entreprise "Focus" consacrera une double page à cet événement.




Au Pays basque, il est d'usage d'honorer les personnalités par l'offrande d'objets uniques. Ainsi, il est remis au Directeur Général le makila qui est un bâton de marche, fait sur mesure, doublé d'une arme de poing redoutable : en bas, il se termine par un embout en fer sculpté ; en haut, la poignée tressée de cuir dissimule une pointe effilée en acier. La virole comporte une devise propre à son récipien-daire écrite en basque.








Ensuite, la boïna est offerte au Directeur des Opérations qui a revêtu, pour l'occasion, l'agbada traditionnel.
Ce large béret est également frappé d'une devise personnalisée. 












Enfin, je remets au Public Affairs manager l'enluminure qui représente le blason des sept provinces basques.



Et, en dernière minute, le directeur au ministère du Pétrole fait une apparition inattendue. Heureusement, j'ai en réserve les deux accessoires indispensables : le béret, qu'il pose sur sa tête après avoir enlevé son fila, et le foulard rouge.









Les Nigérians et  les Nigérianes sont particuliè-rement fiers de leur tenue traditionnelle. Pour les femmes, outre la coupe du vêtement, le gele - qui se prononce guélé en yoruba - est le symbole artistique de la coiffe nouée comme signe des statuts civil et social.



La fête au Village

On se croirait sur la place d'un village du Pays basque : fanions verts et rouges, lampions, drapeau, ambiance... tout y est.


Le programme est simple. Souhaits de bienvenue, présentation de l'équipe d'organisation qui a soigneu-sement préparé le séjour d'Ontuak (transport, hébergement, visites, loisirs), chants d'accueil, repas animé par le groupe, participation des enfants, danses.

Au total, ce sont 15 personnes qui composent le comité d'organisation et qui ont œuvré quelques soirs et quelques week-ends pour que les deux fêtes soient réussies.

Le "Village choir" avant la représentation

puis sur scène pour l'interprétation du répertoire de bienvenue.

Le chœur s'est produit plusieurs fois dans l'année et son niveau est assuré par des répétitions hebdomadaires soutenues. La motivation a été décu-plée lorsque son chef a su qu'il allait le diriger devant un public encore plus nombreux que d'habitude et dans une ambiance entièrement festive.






Sans temps mort, les musiciens enchaînent les mélodies en basque, espagnol et français.










Quelques refrains connus sont repris par le public enthousiaste et les enfants sont fous de joie.









L'apéritif se prolonge autour du bar à ciel ouvert dans des mouvements divers de décibels groupés.

















Autant au Présidential, le repas était mixte, autant pour cette soirée, tous les plats servis sont typiques du Pays basque, notamment le jambon et le chorizo, le fromage de brebis et le gâteau à la crème, tous articles importés dans les bagages du groupe y compris les bouteilles de vin  d'Irouléguy.
















Le Paquito chocolatero baptise définitivement la soirée




et les danses rassembleront la majorité des participants dans un joyeux exercice collectif d'apprentissage.









Le dernier air de tuna s'achève bien-bien tard.
A l'initiative des filles du comité, un repli se fait à la guest où le camp boss aligne des bouteilles de manzana verde sur le comptoir. Le goût glacé de pomme remet quelques estomacs en place et le restant d'idées au pilon.


Un fronton couvert à Port-Harcourt

Lorsque je suis arrivé, j'avais rapidement identifié le grand et long gymnase couvert à usages multiples : basket-ball, hand-ball, tennis, agrès, salle de gymnastique et d'entraînement à des sports divers. Malgré les gaines de climatisation fixées sous la toiture, le mur du fond est suffisamment haut pour délimiter un fronton. Après m'être livré à quelques essais de pala, je situe bien les lignes de démarcation de l'aire de jeu au sol : marquage du but, limite du fond, lignes latérales. J'évalue également le sommet arrondi du fronton à huit mètres et la largeur au sol à dix mètres. Il n'y a plus qu'à vendre l'idée, d'abord au responsable nigérian des sports, puis à la direction générale. J'emporte les deux accords.


Je peux passer aux deux étapes suivantes : faire peindre le fronton en ocre et le baptiser. Vu que le fronton le plus au sud se situe à Luanda, et que nous voulons tout de même conserver cette notion géographique, mon épouse propose "Plaza hegogia", soit approximativement aire de jeu très au sud
Adopté et figuré en lettre basques à côté des drapeaux nigérian et français entrecroisés et de l'année d'inauguration. Sur la photo du haut, à ma droite se tient le président du Staff club, le premier Nigérian à s'initier à la pala avec nous. Nous sommes le 26 novembre 2005.


La fin du séjour

Le journal d'entreprise Focus du mois de mars 2006 consacre la réussite du gréement des Grands projets par un article sur le développement du capital humain.


C'est alors que nous flânons en bord de plage de la Chambre d'Amour à Anglet en ce mois d'avril 2005 que le cellulaire de ma femme vibre : pour que le DRH du Groupe m'appelle sur ce portable, ce n'est pas une recherche, c'est une traque. La nouvelle me prend presque au dépourvu (presque car je sais que ma durée d'affectation est proche de la moyenne des quatre ans). Les mouvements des cadres supérieurs viennent d'être validés et il m'est proposé de remplacer le DRH local de la filiale camerounaise qui doit être muté à Paris dans six mois.



Pour respecter la tradition du "send off" (départ) de la filiale, nous sommes pris en photo valises en mains ou sacs à dos avec quelques symboles et attributs représentatifs de nos passions, de nos loisirs, de notre future destination.





Nous emportons un billet de vingt Nairas à l'effigie du général Murtala Muhammed, chef du gouvernement militaire de 1975 à 1976. Malgré ce court laps de temps, au terme duquel il a été assassiné, il aura laissé une trace indélébile dans la gouvernance du Nigeria. L'aéroport international de Lagos porte son nom.











retour à l'épisode précédent :  Nigeria - les Grands projets


Vous pouvez accéder à la vie du livre et aux présentations en librairie, dans les salons du livre et les médiathèques ou lors de signatures privées en cliquant sur le bandeau ci-dessus. 

Commentaires

Enregistrer un commentaire