Cycle de conférences - Bayonne

 


Conférence à Bayonne - Musée basque - 
19 juin 2025 

Dans le cadre des conférences organisées par les Amis du Musée basque, j'ai été convié à parler de la confluence des traditions entre les Basques et les Sawa au travers du mythe de l'eau.
Cette articulation m'est apparue congrue au regard des similitudes que mes connaissances en mythologie locale et dualaenne* sont capables de valider. Pour autant, je ne me revendique ni anthropologue, ni ethnologue, ni chercheur. Simplement un observateur que la curiosité à propos des origines, la passion pour les peuples, l'atavisme envers leurs traditions, le respect des cro-yances ont mené sur les pistes du sacré, des divinations et des initiations.

* relatif au peuple duala


Présentation par Bertrand Delage

"Nous nous sommes rencontrés en avril 2024 au Biltzar de Sare où Philippe présentait sa trilogie sur la saga historique de sa famille. Notre passionnante conver-sation, qui fut longue eu égard aux aventures vécues, m'a fait découvrir une authentique et ancienne famille bayonnaise, et un natif amoureux du Pays basque dont
il a exporté certaines traditions dans les pays où il a séjourné avec son épouse, également issue d'une famille ayant fait souche à Saint-Esprit.
"J'ai été séduit par son approche faite de curiosité intellectuelle, bienveillante et enrichissante envers les autochtones et leurs coutumes vivaces. Devant cet engagement, je lui ai demandé de nous faire profiter de ses expériences en milieu africain au sein duquel lui et son épouse ont su se faire accepter et de nous initier aux mystères des rites ethniques.

"Je termine en vous disant que Philippe est doté du sens de l'observation et de l'approche intuitive des populations qu'il a certainement développé pendant son enfance au Sahara."

Le nomadisme comme socle de l'existence

Pour appréhender l'esprit qui sous-tend le thème que je vais traiter ce soir, il convient de considérer le nomadisme comme le dénominateur commun aux deux peuples concernés d'une part, et à ma famille d'autre part.
Je vais commencer par ma famille, cela vous permettra de saisir l'importance de l'atavisme : lorsque mon grand-père paternel, une fois la guerre 14-18 achevée, s'est porté volontaire en compagnie d'un autre gradé Basque pour aller au Liban en 1925 afin de créer la 1re compagnie de Chasseurs libanais, jetant ainsi les base de la future armée libanaise, il a saisi l'opportunité ; lorsque mon père s'est engagé à l'âge de 18 ans dans le Corps franc Pommiès pour finir par délivrer Berlin au mois de mai 1945 puis être affecté au Sahara comme méhariste, il a saisi l'opportunité.
Avoir été plongé dès le plus jeune âge dans un environnement géographique austère, silencieux et impitoyable, et dans un milieu humain cosmopolite et rude a influencé mon apprentissage de la vie. L'instituteur républicain qui enseignait à l'école primaire de Ouargla nous avait dit "Dans cette classe, il y a des Arabes, des Français, des noirs, des blancs, des musulmans, des chrétiens, des juifs, des animistes. Et il y a autant de gentils, d'intelligents, de bourricots que partout ailleurs. C'est cela l'égalité." 


Contrairement aux peuples, le nomadisme qui caractérise mon parcours n'est pas celui qui s'oppose à la sédentarité, ni celui qui est issu de l'errance ou de l'exil, c'est celui de l'opportunité.
J'appartiens à une famille basque qui a choisi la formule "exil et aventure", l'autre choix étant "l'oiseau d'Orhy se plaît à Orhy".
L'attitude que nous avons observée partout où nous avons vécu est celle prônée par Lévi-Strauss pour qui "voyager recèle une valeur anthropologique et ethnologique" et non la seule curiosité fondée sur des clichés, au propre comme au figuré.

Zoom sur le continent africain

Afin que chacun comprenne bien la suite, je dois vous rappeler la conférence de Berlin de 1885 à l'issue de laquelle 14 pays européens plus les Etats-Unis ont tracé les frontières sur le continent africain afin de faciliter la libre circulation sur les fleuves Niger et Congo pour permettre l'exploration vers l'intérieur et favoriser l'exploitation des ressources.

[projection de la planche montant la carte de l'Afrique sous influence coloniale (1920) et aujourd'hui]

Avant les colonisations, l'Afrique noire a connu de grands empires et royaumes qui rassemblaient des peuples - dont les langages faisaient partie de la famille des langues nigéro-congolaises - dans des frontières mouvantes au gré des conquêtes et des ententes. Ces peuples traditionnellement nomades, dont les déplacements se faisaient sous la pression pastorale et l'épuisement des ressources versus l'accroissement des populations, se sont trouvés aléatoi-rement répartis de par et d'autre de ces nouvelles délimitations - chaque ethnie véhiculant ses traditions et ses coutumes.

[La planche ci-dessous établit une similitude entre le Cameroun et le Pays basque]

Du sacré des eaux : une analogie

Nous assistons à l'analogie de deux mondes adeptes des mêmes imaginaires, que ce soient les figures habitant les grottes, les sources, les forêts et les fleuves ou bien les configurations propices aux récits fondateurs colportés oralement depuis la nuit des temps.
Que ce fût dans les temps païens ou l'ère chrétienne qui s'ensuivit, le culte populaire des sources par les Basques a été permanent : la déesse-mère Mari associée à tous les phénomènes de la nature, dont les pluies, les "laminak" génies des eaux qu'il fallait traiter avec bienveillance sous peine de subir des inondations catastrophiques pour les récoltes.


Les Sawa, ou peuples de l'eau, perpétuent le rituel sensé attirer 
la protection des "mengu" afin que ces augures apportent l'abondance, la fertilité et le bien-être aux populations.
Les costumes revendiquent la vivacité cosmogonique du Ngondo et la symbiose avec les matières naturelles.

Dans l'absolu, l'eau est synonyme de vie.
Dans la mythologie, l'eau est le symbole de la connaissance et de la vérité.
Dans la conscience religieuse universelle, l'eau a des vertus de purification et de sanctification.

Chez les deux civilisations, nous remarquons qu'aucune représentation physique, qu'aucun bestiaire ne nous sont parvenus : gravures, statues, scènes de vie, à l'instar de ce que les Sumériens, les Egyptiens, les Grecs ont pu produire.


la dimension contemporaine de la société occidentale a provoqué la banalisation de la distribution de l'eau par la domestication de son exploitation


Le visible et l'invisible

Le rite est une pratique codifiée
- à caractère symbolique ou sacré
- en vigueur au sein d'un groupe constitué
- destinée à fédérer l'engagement inconditionnel des adeptes
- dans le cadre d'une croyance, d'une métamorphose, d'un engagement.   

Pour bien comprendre ce que recouvre la notion de "rite" chez les peuples africains - par peuple, j'entends non pas l'appartenance à une nation mais l'appartenance à une Unité -, il convient de considérer le rite comme la manifestation de gestes visibles dirigés à l'attention des personnes invisibles, c'est-à-dire les divinités et les défunts.

L'esprit du Ngondo

Le Ngondo a pour objet de fédérer les peuples côtiers autonomes et belliqueux, gaspilleurs d'énergie guerrière et procédurière dans une assemblée amphictyonique inspirée de la Grèce antique.
Le peuple sawa considère l'épopée de Jèki La Niembé' A Inono comme le monument du patrimoine oral duala qui fixe le cheminement pour éviter les conflits, les luttes, les affrontements qui sont sources de dénaturation du mythe fondateur.

L'essence même du Ngondo plonge ses racines dans l'appel aux mânes et dans la soumission au dieu Nyambé, dieu du Cosmos, afin d'échapper à toute crimi-nation de sa part

[Arrivée du Conseil qui va siéger dans la Case des augures]

La cérémonie obéit à la vocation thau-maturgique de prédire les bienfaits et les épreuves à venir à partir de la marmite sacrée qui est immergée par un plongeur dans les eaux du fleuve Wouri et au but social : que les lignages, familles, individus quittent la cérémonie libres de toute querelle, de tout embarras.


La pirogue qui en est le symbole trône en bonne place à côté de la paillote des altesses et dignitaires sawa.


Je vous livre une des définitions étymologiques du terme "ngondo" telle qu'elle m'a été confiée par Mylord Mbappe Bwangale, président du rituel, c'est-à-dire celle qui fait référence au liquide amniotique dont la fonction est de protéger, préserver et développer le fœtus. Cette allégorie propre à l'acte de procréation et de (re)naissance procure à l'acte votif l'interprétation prémonitoire qui émergera du fleuve.



Depuis la barque, le plongeur s'immerge dans le Wouri avec la marmite sacrée. Il s'agit de recueillir l'oracle des esprits du fleuve. Plus longue sera l'apnée, meilleures seront les prédictions selon les intentions dévoilées.
 

Puis la marmite est cérémonieusement transportée par le cortège des initiés jusqu'à la Case où le Conseil, dans la plénitude de ses attributions divinatoires, procèdera à la "lecture" des mannes afin de rassurer sur la transition du passé vers l'avenir, sur la transmission des anciens vers les nouvelles générations.
 

Le défi des équipages

Aux deux phases de divination succèdent la bénédiction des dignitaires, personnalités et invités, qu'un prêtre distribue généreusement, et la compétition nautique sur le fleuve. Elle met aux prises les équipages des quartiers de Douala représentant les différentes communautés sawa.
Chaque pirogue comprend une soixantaine de rameurs et un barreur qui s'affrontent selon un circuit aléatoirement balisé.


Le barreur-vainqueur est triomphalement promené sur une chaise à porteurs et fêté dans out le périmètre de la zone maritime. Jusqu'à l'année suivant, il bénéficie du statut de champion qui lui procure considéra-tion et avantages matériels.


L'imaginaire et le social 

Les mythes remplissent leur fonction première en donnant au peuple basque d'un côté et aux peuples sawa de l'autre une lisibilité et une cohérence qui légitiment leur existence et leur dimension sociale.
Ce qui
- renforce l'identité collective au moyen des traditions, des comportements, des relations
- sert d'outil de transmission au travers des générations successives
- structure le rapport au monde en donnant du sens à ce qui échappe à la raison pure (destinée, mort).

Côté Sawa, la pratique de l'hydromancie ajuste le comportement des peuples aux prédictions dans une démarche à la fois communautaire et moderne, dans le respect des traditions.
Côté Basque, nous avons constaté que la domestication de l'eau et la libéralité de sa distribution lui ont enlevé son particularisme mystique, la faisant basculer du rite propitiatoire à la disponibilité commune - commune dans les sens de partage et de banalité.

Il ressort que le Ngondo sait se régénérer par la vivacité du mythe associé à l'accompagnement de l'évolution tandis que l'abandon par les Basques du mythe de l'eau a provoqué la rupture spatio-temporelle et ainsi l'a privé de sa modernisa-tion.
Cet abandon m'a fait me tourner vers la pastorale qui a su passer du cadre liturgique rigoriste à l'ouverture sur des thèmes contemporains liés à l'évolution de la société.

En ce sens, la pastorale illustre la capacité inventive à transmuter l'imaginaire pour l'adapter à la modernité.



[Echanges avec des auditeurs]






La trilogie est disponible
- sur les plateformes de Gallimard, la librairie Eyrolles, la Fureur de lire, la Place des libraires,
- sur les plateformes de commande Amazon, fnac, Cultura Leclerc

 

Commentaires